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LA SIBÉRIE SEPTENTRIONALE.

Comme les sauvages du nord de l’Amérique, ils ont aussi la coutume d’égorger les vieillards débiles et les enfans qui naissent avec une infirmité. Il y a quelques années, le chef d’une famille riche et considérée, se sentant faible, accablé par l’âge et hors d’état de continuer ses excursions nomades, pria ses proches parens de le tuer, et nul d’entre eux n’hésita à lui donner ce témoignage d’obéissance et d’affection.

Le schaman ou sorcier joue parmi ces populations nomades un grand rôle. C’est à lui que l’on s’adresse dans toutes les circonstances importantes de la vie, tantôt pour lui demander un conseil, tantôt pour qu’il préserve d’un péril ou sauve d’une catastrophe ceux qui l’invoquent, car on le croit en relation directe avec les esprits, assez habile pour connaître leur volonté, et assez fort pour la diriger. Souvent sa décision est sévère et cruelle ; mais, si cruelle qu’elle soit, elle est aveuglément acceptée. En 1814 une peste terrible éclata dans le district d’Ostrownoje. Elle enlevait à la fois les hommes et les animaux. Les schamans, appelés au secours des malades, font leurs conjurations, agitent leurs tambours, invoquent les esprits. Tout est inutile. Les esprits sont rebelles à la prière, et l’épidémie continue à ravager les habitations. Les schamans se réunissent alors en conseil, et décident que, pour apaiser les génies irrités, il faut leur sacrifier Kotschen, l’un des principaux habitans du pays. Kotschen était si généralement aimé et considéré, que l’arrêt porté contre lui révolta d’abord la population ; mais, comme la peste semblait faire de nouveaux progrès, on accepta la sentence des schamans. Kostchen lui-même, se dévouant pour sa tribu, pria son fils de le tuer, et tomba sans se plaindre sous ses coups.

Le schaman, si puissant et si redouté, n’appartient à aucune corporation et n’est soumis à aucune doctrine. Il n’obtient le titre de schaman que grace à son organisation nerveuse et à ses songes superstitieux. La solitude, le jeûne, les veilles, les boissons narcotiques, troublent ses sens et portent au plus haut degré son exaltation. Il tombe en extase, il a des visions, et alors il croit vraiment voir les esprits dont il a entendu parler dans sa jeunesse. De ce moment on le déclare schaman ; on lui confère ce titre solennel au milieu des ténèbres, au bruit du tambour magique, avec toutes sortes de bizarres cérémonies. Cependant il reste ce qu’il était auparavant, il n’a point eu de maîtres, et ne forme point de disciples. Quoi qu’il dise ou qu’il fasse, il agit par sa propre impulsion. Il se trompe lui-même et trompe