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LA SIBÉRIE SEPTENTRIONALE.

bois dont les diverses pièces ne sont ni clouées ni chevillées, mais liées l’une à l’autre par de fortes courroies. Le patin de ces traîneaux n’est pas, comme dans ceux des autres pays, garni d’une bande de fer. On le fait tout simplement tremper dans de l’eau froide. Il se revêt alors d’une couche de glace de six lignes environ si ferme et si dure, qu’elle résiste fort long-temps. Pour entreprendre son excursion sur la mer Glaciale, M. Wrangel avait besoin de cinquante nartes et de six cents chiens, car il fallait qu’il emportât avec lui, outre ses instrumens de physique, du bois, des vivres, pour quarante jours, et à peu près trente mille poissons pour la nourriture des chiens. Par un beau temps, un attelage de douze chiens mène assez rapidement un narte chargé de onze cents livres ; si la route est mauvaise ou le vent contraire, il traîne avec peine la moitié de ce fardeau.

Tandis que M. Wrangel faisait ses préparatifs de départ, un beau jour il vit arriver dans sa demeure un singulier voyageur, le capitaine Cochrane, qui, après avoir traversé toute l’Europe à pied, continuait sa promenade dans les déserts de la Sibérie, et prétendait s’en aller ainsi jusqu’aux barrières infranchissables de la mer Glaciale. Il témoigna aux officiers russes le désir de les accompagner dans leur expédition, « mais une personne de plus dans un voyage où chaque livre de bagage était, dit M. Wrangel, discutée et pesée rigoureusement, ne nous permit pas d’accepter son offre, » et après avoir fait, de côté et d’autre, quelques excursions, il s’en retourna comme il était venu, tantôt sous la conduite d’un Cosaque, tantôt avec une caravane de marchands.

Le 19 février, M. Wrangel se dirigea vers les plages désertes de la mer Glaciale ; le premier jour de son voyage, il trouva encore quelques habitations ; le second, il s’arrêta dans une cabane abandonnée qui lui servit d’asile pendant la nuit. Bientôt il ne vit plus aucune trace humaine ; les longues plaines de neige qu’il traversa sont entièrement inhabitées. Quelques hommes de la tribu des Tschuktsches y passent seulement de temps à autre pour s’en aller à une foire ou à la pêche. Le 25 février, la caravane arriva à l’embouchure d’un petit fleuve où les chasseurs s’arrêtent dans leurs plus lointaines excursions, et que nul Russe n’avait visité depuis 1765. Le froid était très rigoureux. Les chiens même en souffraient beaucoup. Il fallut leur mettre des lambeaux de couvertures sur le corps, et leur faire, avec de la peau de renne, des espèces de bottes. Le froid rendait aussi très difficiles les observations de physique et d’astronomie. Le mouvement du chronomètre s’arrêta ; le sextant ne pouvait être employé