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LA SIBÉRIE SEPTENTRIONALE.

doit servir d’asile à la caravane. Il suffit qu’ils y aient été une fois ; ils la retrouvent sous les amas de neige qui la dérobent à tous les regards, et la font reconnaître aux voyageurs.

En été, on attèle les chiens aux barques qui remontent le fleuve. C’est une chose admirable de voir avec quelle habileté ils s’arrêtent quand il le faut, et comme ils s’élancent à la nage sur l’autre rive du fleuve, lorsque celle qu’ils suivaient est obstruée par un rocher. Le chien est pour les diverses tribus du district de Kolymsk un animal aussi précieux que le renne apprivoisé pour les tribus nomades, et il est pour chaque famille l’objet d’une incroyable prédilection. « Nous en avons vu en 1821, dit M. Wrangel, un étonnant exemple. À la suite d’une fatale épidémie, une famille de Jukahires avait perdu dix-huit chiens, et il ne lui en restait que deux, mâle et femelle. Pour sauver ces deux êtres chétifs, la femme du Jukahire se décida à les allaiter elle-même avec ses propres enfans. Elle accomplit son étrange résolution, et les deux chiens, ainsi nourris, enfantèrent une lignée nombreuse. »

Au mois de décembre, la chasse et la pêche sont finies, et les membres de la famille se rassemblent autour du foyer pour y passer les longues nuits de l’hiver. L’habitation est éclairée par une lampe, dans laquelle on verse de l’huile de poisson, et une colonne de fumée rouge, étincelante, s’élève sur le toit. Autour de la cabane, les chiens, à demi ensevelis dans la neige, interrompent de temps à autre le silence de la nuit par des hurlemens si aigus, qu’on les entend à plusieurs werstes à la ronde.

La cabane est fermée par une peau de renne ou d’ours blanc. Près du feu est le père de famille, qui tresse avec ses fils des filets de crin, ou fabrique des arcs, des flèches, des lances. Quelques femmes, assises au fond de l’habitation, préparent les fourrures des animaux tués pendant l’été, ou façonnent, comme celles que nous avons vues en Laponie, une espèce de fil avec les nerfs du renne ; d’autres posent sur le feu la chaudière qui renferme le poisson destiné à la pâture des chiens, font cuire pour le dîner la chair de renne dans de l’huile, ou préparent les gâteaux de poissons. Si un voyageur entre dans cette cabane, on lui offre ce qui s’y trouve de meilleur, c’est-à-dire les tranches de poisson, les langues de rennes, la graisse fondue, le beurre, tout cela parfaitement gelé. La table est couverte d’un vieux filet de pêcheur, et l’on remplace les serviettes par des copeaux de bois. Ce dernier article est un objet de luxe qu’on ne trouve que parmi les familles qui ont de grandes prétentions à