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sont en grand honneur dans le pays, et l’on raconte leurs exploits comme on raconte ailleurs ceux des guerriers et des navigateurs intrépides. Voici un fait qui prouve avec quelle énergie ces pauvres hommes du Nord attaquent parfois et domptent l’animal terrible de leurs forêts. Un chasseur de Kolymsk s’en va un jour avec son fils à la recherche des renards. Après avoir en vain couru tout le jour, ils s’en revenaient tous deux fort tristes de n’avoir rien trouvé, lorsqu’ils aperçoivent tout à coup un ours couché dans sa tanière. Quoiqu’ils n’eussent pas les armes nécessaires pour le combattre, ils se décidèrent cependant à tenter l’aventure. Le père s’appuie contre une des issues de la caverne et la ferme avec ses larges épaules ; le fils s’avance vers l’autre ouverture et commence à attaquer l’ours avec une lance légère qui ne pouvait que le blesser et l’irriter. L’animal furieux s’élance vers l’issue par laquelle il a coutume de sortir ; mais ses dents et ses griffes glissent sur les peaux épaisses qui couvrent le dos du vieux chasseur, et le fils, frappant toujours de côté et d’autre sur la bête féroce, parvient enfin à la tuer.

L’animal le plus utile aux populations de cette contrée est le chien. On l’emploie à conduire les traîneaux, à charrier des vivres et des marchandises, et il seconde habilement ses maîtres à la chasse. Dans un long voyage d’hiver, tout dépend du choix des chiens ; il faut que ceux que l’on attèle à un traîneau soient déjà habitués à marcher ensemble. On dirait alors qu’ils savent quand ils doivent se fier à l’expérience de celui qu’ils conduisent, et quand ils doivent l’aider de leur instinct. On attèle ordinairement douze chiens à un traîneau, quelquefois plus. À l’entrée de l’hiver, lorsqu’on se dispose à voyager avec les chiens, on les prépare quelques semaines d’avance à ce travail par une nourriture particulière. On tâche de fortifier les faibles ; on donne à ceux qui sont gras des alimens desséchés et en petite quantité pour les faire maigrir. On les exerce tous par des excursions de dix à trente werstes, après quoi on peut faire facilement avec ces animaux cent cinquante werstes par jour, au milieu de l’hiver le plus rigoureux. Les chiens sont nourris pendant le voyage avec des harengs secs ou gelés. Quand ils ont couru durant deux ou trois heures, on leur fait faire une halte de quinze ou vingt minutes, et, au bout de trois jours, il faut leur donner vingt-quatre heures de repos. Les chiens les plus alertes sont choisis pour guides ; la sûreté du voyageur dépend souvent de leur instinct. À travers les plaines immenses couvertes de neige, dans les nuits les plus obscures, dans les vapeurs les plus épaisses, ce sont eux qui découvrent la cabane en bois qui