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lance de sa police des riantes plaines de l’Asie aux rives de la mer Glaciale.

Quoique la petite colonie moscovite établie dans cette contrée ait adopté le vêtement, la manière de vivre, les habitudes des Jukahires, et qu’elle se soit altérée par son mélange avec eux, on distingue cependant encore facilement les Russes à certains traits caractérisques, à une constitution plus forte, à un teint plus blanc, à des cheveux plus clairs. Les femmes russes, malgré les rudes travaux auxquels elles sont condamnées et la saleté de leurs demeures, ont en général une physionomie plus agréable que celle des femmes indigènes, et il en est plusieurs parmi elles qui sont très jolies. Elles ont de plus une certaine délicatesse de sentiment qu’on ne s’attendrait pas à trouver dans cette affreuse région. La plupart d’entre elles chantent agréablement et improvisent avec facilité. La poésie, cette fille du ciel, qui s’arrête partout où il y a un cœur qui aime, une ame qui souffre, la poésie leur donne, dans leur tristesse et leur isolement, le charme de ses consolations. Quand leurs époux ou leurs fiancés sont loin, elles disent dans leurs vers la douleur des adieux, les regrets de l’absence, et ces vers sont empreints de je ne sais quelle réminiscence touchante d’un climat plus heureux, qu’elles ne connaissent pas, mais dont leur père peut-être ou leur aïeul leur a parlé. Elles nomment des fleurs qui n’ont jamais souri à leurs regards, elles invoquent le rossignol, qui n’a jamais chanté près de leur demeure. Elles s’entourent ainsi de riantes images que le ciel du Nord leur refuse, et vivent quelques instans par la pensée aux lieux où leurs ancêtres ont vécu. Voici deux de ces compositions improvisées, que cite M. Wrangel. Nous regrettons qu’il n’en donne qu’un fragment, et qu’il n’en ait pas recueilli un plus grand nombre

« Je veux écrire une lettre à mon bien-aimé ! Je ne l’écrirai ni avec une plume, ni avec l’encre noire, je l’écrirai avec mes larmes brûlantes, pour qu’elle ne s’efface pas. La colombe à l’aile d’azur sera mon messager. Petite colombe, porte cette lettre à mon bien-aimé, jette-la-lui par sa fenêtre, afin qu’il connaisse mon amour et ma douleur.

« Dis-moi, doux rossignol, beau rossignol aux plumes brunes, où as-tu rencontré ceux qui voguent sur la mer ? — Je les ai rencontrés près des rochers blancs, où ils ont trouvé une île charmante. — Reprends ton essor, ô doux rossignol ! va-t’en sur la mer bleue chercher mon bien-aimé, et dis-lui que celle qui l’aime verse, à cause de lui, bien des larmes amères. »

Les hommes composent aussi et chantent des vers. Dans les lon-