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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

inspection de la correspondance, que les puissances avaient pris leur parti. Le temps refroidit la colère ; mais que peut-il changer à des calculs intéressés et à une trahison réfléchie ?

Il faut le dire, ce système de temporisation ne vint pas de M. Thiers ; il lui fut suggéré. La question d’Orient partageait le cabinet anglais, et la majorité de ce cabinet, à mesure que lord Palmerston entraînait l’Angleterre vers l’alliance de la Russie, se rattachait à l’alliance de la France. Cette fraction imposante du ministère, qui renfermait les hommes vraiment considérables, et qui était restée bienveillante pour nous, espérait déjouer par la force d’inertie les combinaisons aventureuses de lord Palmerston. Elle craignait que la France, en précipitant la marche des négociations, ne rendît une rupture inévitable ; c’est de ce côté que vinrent au ministère du 1er mars des insinuations qu’il crut sans doute ne pouvoir pas négliger[1].

Nous avons beaucoup trop compté sur la résistance que les projets de lord Palmerston rencontreraient en Angleterre, et les amis que la France avait dans ce pays lui ont fait plus de mal par leur faiblesse que ses ennemis par leur hostilité déclarée. La confiance de M. Guizot dans les anciens whigs, la confiance de M. Thiers dans le coup d’œil diplomatique de M. Guizot, et par contre-coup l’inaction du gouvernement français, voilà les plus grandes erreurs qu’ait commises le ministère du 1er mars.

« Quand nous avons voulu gagner du temps, disait M. Guizot dans la discussion de l’adresse, lord Palmerston était pressant ; quand lord Palmerston a voulu gagner du temps, je crois que notre intérêt à nous était d’être pressans. » Je ne sais où M. Guizot a puisé les élémens de cette assertion ; mais, si l’on s’en tient aux documens que lord Palmerston a mis sous les yeux du parlement anglais, il devient évident que, dans les rares communications que ce ministre a échangées avec le ministère du 1er mars, il n’a pas été pressant un seul jour. Dans les sept cents pages in-folio que renferme le premier volume de ces documens, et qui conduisent le lecteur jusqu’à la con-

  1. Le 11 juillet 1840, quatre jours avant la signature du traité, M. Guizot écrivait encore à M. Thiers que lord Palmerston voulait gagner du temps, et il ajoutait :

    « Lord Palmerston n’a en effet, pendant plusieurs semaines, ni entretenu le cabinet des affaires d’Orient, ni même communiqué à ses collègues la dernière note de Chekib-Effendi. Cependant le travail de quelques membres, soit du cabinet, soit du corps diplomatique, en faveur d’un arrangement qui eût pour base la concession héréditaire de l’Égypte et la concession viagère de la Syrie au pacha, continuait. »