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une résolution prise, que les arrangemens territoriaux, les mesures coercitives, et le rôle de chacune dans l’exécution, tout était convenu entre elles ; qu’elles ne feraient aucun sacrifice réel d’opinion ni d’influence pour obtenir notre concours, et qu’elles s’étudiaient à nous placer dans la nécessité critique pour nous, ou d’accepter des conditions dommageables à nos intérêts et humiliantes pour notre nom, ou de courir les dangers d’un isolement qui devait commencer par la paix armée et qui menait à la guerre.

Les instructions données à M. Guizot, à son départ pour Londres, par le ministère du maréchal Soult, et qui portent la date du 19 février 1840, lui enjoignaient de continuer à réclamer pour Méhémet-Ali la possession héréditaire de l’Égypte et de la Syrie. Le plénipotentiaire français allait se trouver en présence de lord Palmerston, appuyé par les cours du Nord, qui n’avait cessé de prétendre qu’il fallait confiner Méhémet-Ali à l’Égypte. Après six mois de négociations inutiles, qui n’avaient ébranlé aucune des deux parties contendantes dans les positions où elles s’étaient retranchées, le différend paraissait donc et devait être irrévocable. La Russie avait ouvert un abîme entre la France et l’Angleterre ; et, quand la France y aurait jeté ses intérêts ainsi que son honneur, elle ne l’eût pas comblé. Je le dis, sans me préoccuper de l’intérêt d’un homme ni d’un ministère, dans ma profonde conviction, le traité du 15 juillet était conclu, sinon écrit, avant la retraite du maréchal Soult. Dès le mois de décembre 1839, la question était irrévocablement perdue pour nous. Le ministère du 12 mai avait gâté la paix ; il ne restait plus qu’à savoir si la France devait prendre les armes. C’est la nécessité que l’on a reconnue trop tard.

M. Thiers a expliqué l’inaction apparente de la politique française à l’égard de l’Orient, dans les deux premiers mois qui suivirent la formation de son ministère. « Je savais, a-t-il dit dans la discussion de l’adresse, que les susceptibilités étaient très irritées ; je savais qu’il n’y avait qu’un moyen de les calmer, s’il y en avait un, c’était le temps ; je résolus de temporiser. » J’en demande pardon à M. Thiers : s’il n’avait pas eu d’autre motif que l’état des esprits dans la diplomatie pour traîner les négociations en longueur, je crois qu’il se serait trompé. Les dépêches échangées, dans les derniers momens du 12 mai, entre la France et l’Angleterre, entre la France et la Russie, avaient sans doute aigri les relations et accru l’hostilité ; mais M. Thiers avait trop de sagacité pour ne pas comprendre, à la simple