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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

une couleur de légalité à leur intervention dans les affaires de l’Orient.

Ici s’arrêtent les relations diplomatiques du cabinet présidé par le maréchal Soult avec le gouvernement anglais. Mais jusqu’à l’heure de sa fin il conserva ses illusions. Au mois de janvier, le maréchal mandait à M. de Barante, son ambassadeur à Saint-Pétersbourg, que l’Angleterre avait rejeté encore une fois les propositions de M. de Brunnow[1]. Ajoutons que les coalisés ne se faisaient, eux, aucune illusion sur les dispositions de la France. À la même époque, on trouve ce qui suit dans une dépêche de lord Clanricarde :

« L’étendue des pouvoirs donnés au baron Neumann a été portée à la connaissance de cette cour, et le gouvernement russe se repose avec confiance sur la fermeté et sur la sagesse du cabinet anglais du soin d’amener la question de la Syrie à une conclusion satisfaisante. Il n’existe ici aucune appréhension de guerre, quoique les débats qui viennent d’avoir lieu dans les chambres françaises aient mis un terme à tout espoir de voir la France s’unir dans cette question aux autres grandes puissances. »

Voilà donc où en étaient les négociations à l’avènement du ministère formé sous la présidence de M. Thiers. D’un côté, les puissances de l’Europe savaient que les vues de la France dans la question d’Orient différaient complètement des leurs, que cette politique n’était pas celle de tel ou tel ministère, mais celle du pays[2] tout entier, que le gouvernement français avait à peu près épuisé dans ses concessions la limite du possible, et que, si l’on exigeait de lui davantage, les alliances allaient se rompre et changer, l’équilibre de l’Europe chanceler, la paix se trouver en péril. D’un autre côté, la France savait ou pouvait savoir que les puissances, et l’Angleterre à leur tête, avaient

  1. Dépêche de lord Clanricarde à lord Palmerston, 29 janvier 1840.
  2. « Dans la Grande-Bretagne, la question orientale était peu comprise ; elle avait été peu débattue ; les opinions des hommes politiques n’étaient pas engagées ; la nation n’avait pris aucune part ou n’avait pris qu’une faible part à la discussion diplomatique. Il n’en était pas ainsi en France. Là, la question avait donné lieu à des débats longs et répétés ; là, une opinion, une opinion publique à peu près unanime, s’était formée. Dans la presse, l’unité des vues éclatait partout. La politique du gouvernement avait été déclarée aux chambres, approuvée par les chambres et sanctionnée par la voix publique. Même aux préjugés de la France, tout ami de la paix aurait dû faire de grandes concessions. Mais la correspondance diplomatique tout entière montre un éloignement de plus en plus grand de la France à chaque pas. » (Le docteur Bowring, Syrian question.)