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cette indépendance sans laquelle l’intégrité n’est plus qu’un vain mot. L’Angleterre avait paru d’abord se diriger vers le même but que nous et obéir à la même pensée. Ne l’a-t-elle pas depuis un peu perdu de vue ? »

À cette accusation directe, un cabinet moins habile que la Russie aurait répondu par une rupture ; mais il entrait dans le plan des puissances, qui se liguaient contre le gouvernement français, de mettre de leur côté les apparences de la modération. La dépêche de M. de Nesselrode est donc magnanime et menaçante à la fois. On dirait des avances faites l’épée à la main.

M. de Nesselrode commence par rappeler les preuves de désintéressement que la Russie a données depuis six ans, et particulièrement la proposition toute récente d’abandonner le traité d’Unkiar-Skelessi. Il se défend d’avoir cherché à isoler la France de l’Angleterre, et il explique la préférence donnée au cabinet de Londres, dans la mission de M. de Brunnow, par la confiance que ce gouvernement avait témoignée à la Russie.

« De ce que nous avons pris, vis-à-vis de l’Angleterre, l’initiative d’ouvertures préalables sur un arrangement à discuter plus tard avec les autres cabinets, s’ensuit-il donc nécessairement que notre dessein fût d’en exclure la France ? Si une pareille initiative devait impliquer cette exclusion, pourquoi l’Autriche, pourquoi la Prusse, ne l’ont-elles pas ainsi interprétée pour elles-mêmes ?

« L’empereur a fait assez de sacrifices d’amour-propre au désir de l’union et de la paix pour avoir droit d’en obtenir quelques-uns en échange. Sa majesté ne s’est pas bornée à de purs sacrifices d’opinion, elle a offert au bien commun des concessions de fait autrement importantes. C’est bien le moins qu’on renonce d’un autre côté à des préventions qui n’ont plus de fondement. Si, malgré tant de preuves de désintéressement et d’abnégation, l’empereur continuait à voir ses intentions méconnues ; si, tout en acceptant ses concessions, on essayait de les exploiter dans un but de popularité, en les représentant comme dérivant d’une autre source que de sa spontanéité libre et entière ; si, dans l’arrangement qu’il s’agit de conclure, on s’efforçait de compliquer la négociation par de nouvelles exigences, en agitant des questions, en soulevant des éventualités étrangères à la crise actuelle ; si enfin, sous prétexte de faire entrer la Turquie dans le système européen, on tentait de nous enlever, non cette prépondérance exclusive à laquelle nous n’avons jamais prétendu, mais cette part légitime d’influence à laquelle la Russie ne renoncera point, alors, ayant épuisé la mesure de la modération et de la condescendance, notre auguste maître pourrait se voir forcé de se replacer sur le terrain qu’il occupait avant ses premières propositions, et il ne resterait plus à