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Granville (10 décembre 1839), lord Palmerston fait remarquer qu’outre les neuf vaisseaux de ligne que la France entretient dans l’Archipel, une escadre de réserve est en armement à Toulon, et il en vient à des insinuations que le maréchal Soult n’aurait pas dû tolérer.

« Malgré les déclarations amicales du gouvernement français, il est impossible au gouvernement britannique de ne pas appréhender que le cabinet des Tuileries partage (bears in mind) dans sa pensée intime, par rapport aux affaires de l’Orient, les vues et la politique qui ont inspiré en France, dans le passé, la monarchie, la république et le gouvernement impérial.

« Le désir de posséder l’Égypte n’est pas une ambition récente de la part de la France, et le gouvernement français semble travailler à établir un état indépendant, qui réunirait l’Égypte, la Syrie et l’Arabie, et qui serait placé sous la protection ainsi que soumis à l’influence de la France.

« Sans doute l’exécution complète de ce plan rencontrerait des difficultés à peu près insurmontables, et, lorsqu’on en connaîtrait en Angleterre la nature ainsi que la portée, tout cabinet anglais serait contraint de s’opposer aux progrès ultérieurs d’un tel projet ; mais, dans des questions de cette nature, il vaut mieux prévenir le mal que d’avoir à y porter remède, et les démarches les plus promptes sont toujours les plus sages ainsi que les plus efficaces. Voilà pourquoi le gouvernement de sa majesté n’a pas perdu de temps pour faire ses observations sur une augmentation de la flotte française qui est sans motif apparent.

« Le gouvernement de sa majesté ne croit pas que le cabinet des Tuileries puisse songer sérieusement à une rupture avec l’Angleterre dans le seul intérêt de soutenir les prétentions agressives de Méhémet-Ali ; mais ce cabinet pense probablement que, si les forces navales de la France dans la Méditerranée étaient très supérieures à celles de la Grande-Bretagne, cette circonstance donnerait un grand poids aux opinions et aux vœux qui se manifestent en France en faveur de Méhémet-Ali, et que la France pourrait négocier avec plus de succès en faveur du pacha, si, pendant que l’Angleterre a douze vaisseaux de ligne dans la Méditerranée, la France devait en avoir dix-sept, sans parler des flottes de la Turquie et de l’Égypte, qui, par une succession de circonstances dont l’histoire est encore à expliquer, se trouvent aujourd’hui au pouvoir de Méhémet-Ali. »

Ce doute insolent, élevé sur la loyauté du cabinet français, par le gouvernement qui possède dans la Méditerranée, par droit d’usurpation, Gibraltar, Malte, Corfou, et qui demandait naguère à s’emparer de Candie ; ces menaces de guerre jetées comme un défi à la France pour appuyer l’accusation ; cette tentative enfin d’impliquer notre gouvernement dans la responsabilité que la défection de