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plus grande dégradation pouvait-on imprimer au front du sultan devant ses sujets que de déclarer par un traité que, si une armée rebelle paraissait sous les murs de Constantinople, ce seraient les Russes qui le défendraient ! De l’aveu de lord Palmerston, l’indépendance est incompatible avec la faiblesse ; mais la faiblesse n’est-elle pas la même, que le souverain protégé ait cinq protecteurs ou qu’il n’en ait qu’un ? L’empire ottoman doit tomber le jour où les musulmans s’apercevront qu’il est impuissant à se défendre lui-même, et qu’il ne vit que des secours qu’il mendie à l’étranger. L’arrangement direct le plus onéreux au sultan eût mieux valu pour lui que les conditions les plus favorables obtenues par la médiation des puissances ; car il serait demeuré le maître, même en se dépouillant pour un sujet.

Quant aux variations que lord Palmerston reproche à la France dans son memorandum, ce n’est là qu’une querelle de mots. Sans doute, le maréchal et d’autres avant lui, ainsi que d’autres après lui, ont eu le tort, en parlant au nom du gouvernement français, de ne pas toujours dire nettement ce qu’ils pensaient et ce qu’ils voulaient. Lorsque l’Angleterre, par exemple, proposait des mesures coercitives contre le pacha, au lieu de lui signifier qu’on n’y consentirait pas, on se contentait d’objecter que ces mesures étaient impraticables, et qu’elles n’auraient pas de succès. Le maréchal Soult alla même si loin dans cette exagération de la forme diplomatique, qu’il déclara un jour que, si l’on pouvait arracher l’Égypte à Méhémet-Ali et la rendre au sultan, cette combinaison le remplirait de joie[1]. Mais l’Angleterre n’employait-elle pas les mêmes détours de langage pour faire connaître sa pensée à la France ? N’a-t-elle pas procédé plus souvent par voie d’objection que par voie d’affirmation ? N’a-t-elle pas dit aussi que les termes de l’arrangement importaient peu, pourvu qu’ils ne fussent pas destructifs de l’indépendance et de l’intégrité de l’empire ottoman ? Lord Palmerston enfin n’a-t-il pas fait, dans une de ses dépêches les plus importantes[2], cette hypothèse, que l’on aurait attendue de tout autre plutôt que de lui ?

« En fait, la conséquence nécessaire et naturelle de tout arrangement qui laisserait Méhémet-Ali en possession des territoires qu’il occupe serait de faire de lui un souverain indépendant. Bien préférable serait à ce démembrement de l’empire turc un changement de dynastie, qui substituerait la famille de

  1. Dépêche de lord Granville à lord Palmerston, 25 octobre 1839.
  2. Dépêche de lord Palmerston à lord Beauvale, 25 août 1839.