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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

française y entrera aussitôt ; cette déclaration a été faite aussi par l’Angleterre, et je m’y tiens ; » M. Bulwer répondait d’un ton presque menaçant : « Il y a une grande différence entre ce que la Russie peut faire par elle-même et pour elle-même, et ce qu’elle ferait avec le consentement et au nom des autres puissances. En fait, la Russie, en acceptant cette mission, ne s’attribue aucune influence exclusive dans les affaires d’Orient. Ainsi, la France, en s’opposant à la Russie dans ce cas, s’opposerait à ses alliés. » Le 21 octobre, lord Granville, répondant au maréchal qui lui exprimait son étonnement de ce que, malgré la jalousie qu’excitait en Angleterre la politique de la Russie, lord Palmerston avait consenti à l’occupation de l’Asie par des troupes russes, disait encore : « L’occupation d’une province de la Turquie par une force russe, en vertu d’une convention signée par les cinq puissances et avec l’obligation de retirer ces troupes dès que les puissances le requerront, est une renonciation au traité d’Unkiar-Skelessi. »

Cependant il fallut céder, et après avoir pris l’avis de ses collègues, lord Palmerston fit à M. de Brunnow des contre-propositions que celui-ci rapporte dans les termes suivans, ayant soin de dire qu’il reproduit les propres paroles du ministre anglais :

« L’opinion de mes collègues, m’a-t-il dit, s’est prononcée hautement en faveur des mêmes principes que vous avez exposés au nom de votre cabinet pour le maintien de l’indépendance et la conservation de l’empire ottoman. Nous désirons comme vous d’agir dans ce but de concert avec vous et d’y consacrer une action commune. Nous serions décidés à agir dans ce sens avec tous les cabinets qui voudraient concourir avec nous au même but. Nous serions préparés à marcher dans cette voie avec la France et même sans elle, si elle refusait de s’y associer. Nous persistons à croire que nos efforts devraient tendre à faire rentrer le sultan en possession de la Syrie. Nous ne nous dissimulons pas que ce résultat ne saurait être obtenu sans un déploiement de forces destinées à vaincre la résistance du pacha.

« Cependant nous ne saurions méconnaître non plus que l’emploi de ces mesures pourrait porter Méhémet-Ali à adopter un parti extrême en faisant marcher son armée sur Constantinople. Si cette éventualité venait à se réaliser, nous sommes les premiers à admettre la nécessité de voir la Russie interposer ses forces matérielles pour garantir la sécurité de la capitale de l’empire ottoman. Mais, dans ce cas, mes collègues ont été d’avis qu’il serait désirable et nécessaire que l’intervention militaire de la Russie n’eût point l’apparence d’exclure notre concours.

« D’après l’opinion unanime du conseil, l’intervention militaire de la Russie, si elle devenait nécessaire pour la protection et la défense de Con-