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ni la mort du sultan, ni la bataille de Nézib, ne devaient modifier les intentions des puissances, que ces évènemens n’ajoutaient rien aux titres de Méhémet-Ali, et qu’en affaiblissant les ressources militaires de la Turquie, ils imposaient, au contraire, plus étroitement aux cabinets de l’Europe le devoir d’intervenir. En même temps, lord Palmerston se portait fort, pour la France, et garantissait son adhésion cordiale aux vues qu’il exprimait. Il faut prouver que cette audacieuse assertion était plus qu’un acte de légèreté.

Lorsque le ministre anglais garantissait à Vienne et à Pétersbourg les intentions de la France, il ne les connaissait pas encore. La dépêche de lord Palmerston à lord Beauvale est, comme on le sait, du 26 juillet ; ce ne fût que trois jours plus tard, le 29 juillet, que lord Palmerston reçut de lord Granville, son ambassadeur à Paris, une dépêche qui disait :

« Votre seigneurie apprendra de M. de Bourqueney que Ie gouvernement français pense que ni la funeste déroute de l’armée turque, ni la trahison du capitan-pacha, ni l’humble attitude du divan, ne doivent modifier la conduite que les grandes puissances de l’Europe se proposent de tenir. Tout arrangement fait entre le sultan et Méhémet-Ali, dans un moment où les conseillers de la Porte sont ou paralysés par la crainte, ou cherchent traîtreusement à faire leurs propres affaires en sacrifiant les droits de leur souverain, doit être regardé comme nul. Dans l’opinion du maréchal Soult, il faudrait signifier ces intentions à Méhémet-Ali. »

Soit que lord Granville eût rendu d’une manière inexacte les paroles du maréchal Soult, soit que les conversations du maréchal n’aient pas été, sous le ministère du 12 mai, plus claires que ses discours à la tribune, le sens de cette dépêche est directement contraire à celui de la note que M. de Bourqueney remit le même jour à lord Palmerston. Le maréchal disait, il est vrai :

« Les puissances, tout en donnant une pleine approbation aux sentimens concilians manifestés par la Porte, doivent l’engager à ne rien précipiter, et à ne traiter avec le vice-roi que moyennant l’intermédiaire et le concours de ses alliés, dont la coopération serait sans doute le meilleur moyen de lui ménager des conditions moins désavantageuses et mieux garanties.

« Je crois qu’à Alexandrie ces mêmes puissances doivent tenir au vice-roi un langage propre à lui faire sentir que, quels que soient les avantages qu’il vient d’obtenir, il risquerait de les compromettre en voulant les pousser trop loin, et que, s’il prétendait, dans quelque forme ou sous quelque prétexte que ce fût, arracher au sultan des conditions incompatibles avec sa dignité et la sûreté de son trône, l’Europe entière interviendrait pour s’y opposer. »