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pas une seule de ces démarches si européennes et si humaines, mais si peu françaises, dont on n’ait tiré aussitôt parti contre la France.

Prenons pour exemple la garantie donnée par le gouvernement français à l’indépendance et à l’intégrité de l’empire ottoman. Le ministère du 12 mai crut avoir fait là un coup de maître, et un membre de ce ministère, M. Passy, s’en glorifiait encore il y a un an. « La France, disait-il, a pris une initiative qu’une autre puissance ne paraissait pas vouloir prendre. Le cabinet écrivit aux cours et leur proposa de faire garantir l’intégrité de l’empire ottoman. »

Cette démarche, dont le ministère du 12 mai revendique l’initiative, lui fut en réalité suggérée par le cabinet autrichien. Ce fait ressort d’un simple rapprochement de dates. La déclaration du maréchal Soult est du 17 juillet 1839[1]. Or, le 30 juin, M. de Metternich adressait aux cours de Paris et de Londres une communication dont on connaîtra le sens par la réponse que lord Palmerston y fit dès le 13 juillet[2].

« Rien ne peut être plus sage ni plus urgent que la mesure proposée par le prince de Metternich : savoir, que chacune des cinq puissances déclare solennellement sa détermination de maintenir l’indépendance et l’intégrité de l’empire ottoman, sous la dynastie actuelle, et, comme une conséquence nécessaire de cette détermination, qu’aucune d’elles ne cherchera à profiter de l’état des choses pour obtenir un accroissement de territoire ou une influence exclusive.

« Vous pouvez annoncer au prince de Metternich que vous êtes pleinement autorisé à faire cette déclaration de la part de la Grande-Bretagne ; et si l’on jugeait nécessaire de donner une forme plus solennelle à cette déclaration,

  1. Voici le principal passage de ce document, qui est très connu :

    « Tous les cabinets veulent l’intégrité et l’indépendance de la monarchie ottomane sous la dynastie régnante ; tous sont disposés à faire usage de leurs moyens d’action et d’influence pour assurer le maintien de cet élément essentiel de l’équilibre politique, et ils n’hésiteraient pas à se déclarer contre une combinaison quelconque qui y porterait atteinte. Un pareil accord de sentimens et de résolutions devant suffire, lorsque personne ne pourra plus en douter, non-seulement pour prévenir toute tentative contraire à ce grand intérêt, mais même pour dissiper des inquiétudes qui constituent un danger véritable par suite de l’agitation qu’elles jettent dans les esprits, le gouvernement du roi croit que les cabinets feraient quelque chose d’important pour l’affermissement de la paix, en constatant dans des documens écrits qu’ils se communiqueraient réciproquement, et qui nécessairement ne tarderaient pas à avoir une publicité plus ou moins complète, l’exposé des intentions que je viens de rappeler. »

  2. Le maréchal lui-même l’a reconnu : « Je puis d’autant moins douter de l’adhésion du cabinet autrichien, que c’est lui qui le premier a eu l’idée de cette espèce d’engagement réciproque. » (Le maréchal Soult à M. Cochelet, 27 juillet 1839.)