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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

Cette dépêche est un prodige d’habileté. M. de Nesselrode donne un coup de sonde dans les passions de lord Palmerston. Il lui laisse entrevoir la possibilité d’une entente amicale entre l’Angleterre et la Russie, qui s’associerait, dans certains cas, à des mesures coercitives contre le pacha d’Égypte. Le ministre russe accorde donc, du premier mot, à l’Angleterre ce que la France lui avait constamment refusé ; mais il met à ce concours des conditions qu’il sait bien être inacceptables, se réservant ainsi une grande marge pour le marché définitif.

La dépêche de M. de Nesselrode fut communiquée à lord Palmerston le 27 juin. On vient de voir que le ministre anglais y répondit sur-le-champ sous le couvert du prince Metternich, de manière à indiquer qu’il attendait de M. de Nesselrode de nouvelles propositions. Cependant lord Palmerston, pour sauver les apparences, parle toujours d’un concert européen ; bien mieux, il se sert de l’opinion de la France pour déterminer la Russie à renoncer au maintien du statu quo.

Après avoir déclaré que le gouvernement anglais ne restera pas le spectateur passif du conflit engagé en Orient, qu’il ne permettra pas à Méhémet-Ali d’occuper les districts d’Orfa et de Diarbekir, et que les instructions données à l’amiral Stopford lui enjoignent d’obtenir une suspension d’armes dans le cas où les troupes égyptiennes s’avanceraient vers l’Asie mineure, lord Palmerston ajoute :

« Il y a donc unanimité d’opinion entre les puissances sur ce point, qu’il faut prévenir ou arrêter les hostilités. L’Autriche, la France et l’Angleterre paraissent comprendre aussi que la position respective du sultan et du pacha est incompatible avec la sécurité de l’empire ottoman ainsi qu’avec la paix de l’Europe, et qu’un arrangement quelconque, mais différent de l’état actuel, doit être conclu si l’on veut éviter des dangers sérieux.

« Quelques passages de la dépêche de M. de Nesselrode feraient supposer que la Russie ne partage pas cette opinion, et que le statu quo la satisfait ; mais il en est d’autres qui semblent indiquer que la Russie n’est pas éloignée de prendre en considération la possibilité d’un règlement nouveau… Aucune puissance ne peut se séparer des autres dans ses actes à l’égard de la Turquie, et les affaires de l’Orient doivent être considérées comme une question européenne, autant qu’aucune autre qui ait occupé les cabinets.

« Le gouvernement français a proposé que ces matières fussent discutées dans une conférence des cinq puissances qui se tiendrait à Vienne. Le prince Metternich a donné les raisons qui, dans son opinion[1], ne permettent pas

  1. Voici la dépêche de M. de Metternich au comte d’Appony ; elle est datée de Vienne, le 14 juin 1839 :

    « Un protocole signé en 1818 entre les cinq grandes cours à Aix-la-Chapelle a