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les trancher d’un seul coup, la question du présent et celle de l’avenir, et l’on abandonna le pacha d’Égypte à l’Angleterre, à condition que l’Angleterre sacrifierait la France à ses nouveaux alliés. Ce fut le pacte d’un amour-propre froissé avec les vieilles passions de 1815. L’action fut transportée de l’Orient à l’Occident, et la coalition contre-révolutionnaire se trouva reformée.

Mais n’anticipons pas sur la marche des évènemens. Aussi loin que remonte la correspondance diplomatique publiée par lord Palmerston, c’est-à-dire dans les derniers jours du ministère Molé, on voit la France et l’Angleterre divisées d’opinions, mais encore animées du désir de s’entendre, et considérant leur bonne intelligence comme le premier de leurs intérêts. Voici le récit que fait lord Granville à lord Palmerston d’une conversation récente avec M. le comte Molé. Cette dépêche importante est datée du 15 février 1839 ; elle ouvre le premier volume des documens anglais.


« Le comte Molé, dans le cours d’une conversation sur les affaires de l’Orient, en me rappelant que l’expédition de Méhémet-Ali aux mines du Sennaar touchait à son terme, m’a exprimé le désir que, par des communications préalables, la France et l’Angleterre se préparassent à agir de concert au moment où le vice-roi soulèverait de nouveau la question de son indépendance, ce qu’il ne manquerait pas de faire dès son retour à Alexandrie. Son excellence me fit observer que, malgré la tendance commune de la France et de l’Angleterre à maintenir la paix entre le sultan et le pacha, il existait, entre les intérêts des deux peuples dans la question d’Orient, des différences qui, à moins d’un concert préalable, pourraient amener un défaut d’unité dans le langage et dans les actes des deux gouvernemens, au détriment du but que l’un et l’autre se proposaient.

« En parlant de cette différence des intérêts, M. Molé fit allusion aux moyens de communication et de transit que l’Égypte offrait entre l’Europe et l’empire britannique dans l’Inde, ce qui était un objet d’une plus grande importance pour l’Angleterre que pour la France.

« Je répondis que, bien que la facilité des communications avec l’Inde par l’Égypte fût une question à laquelle l’Angleterre se trouvait plus fortement intéressée que la France, je ne comprenais pas que cette circonstance pût produire une divergence d’opinion quant aux mesures qu’il conviendrait d’adopter pour prévenir une collision entre le sultan et Méhémet-Ali, mais que je ne doutais pas que mon gouvernement donnât la plus sérieuse attention à toute proposition qui serait suggérée par son excellence dans le but d’amener un langage et des actes communs.

« Je fis observer que les deux gouvernemens avaient protesté, aussi bien que l’Autriche et la Russie, contre les prétentions du pacha à l’indépendance, que nous avions menacé d’employer nos forces navales contre lui, si, malgré