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GUERRE ET NÉGOCIATIONS DE HOLLANDE.

de se porter avec sa troupe aux ponts-levis de la ville pour en empêcher l’entrée. Le comte de Tilly, fidèle à son devoir jusqu’au bout, ne voulut pas quitter le poste qu’il occupait sans un ordre écrit. Cet ordre fatal fut signé. Quand il le reçut, il dit : « J’obéirai, mais les deux frères sont perdus. »

Cet ordre fut en effet leur arrêt de mort. Dès que la cavalerie eut quitté, vers quatre heures, sa position, les compagnies bourgeoises qu’elle avait tenu éloignées de la prison, s’avancèrent, ivres de bière, d’eau-de-vie, et avides de sang. La compagnie du drapeau bleu, plus ardente que les autres, déboucha la première et se plaça devant la porte de la prison, après en avoir écarté de vive force la compagnie du drapeau rouge, qui l’avait gardée jusque-là et qui était un peu plus modérée. Elle avait à sa tête l’échevin Van Banckhem, qui l’excitait hautement au meurtre des deux prisonniers. Trouvant la porte fermée, elle fit contre elle une décharge de mousqueterie qui la perça sans l’abattre ; alors un orfèvre nommé Verhoef, qui s’était fait remarquer depuis le matin parmi les plus emportés, alla prendre dans le voisinage un marteau et une hache pour la forcer. La porte, brisée en partie, commençait à céder sous les coups de ces furieux, quand le geôlier effrayé l’ouvrit et leur livra passage. Les assassins montèrent en foule l’escalier et se précipitèrent dans la chambre des prisonniers. Le ruard, en robe de chambre, était toujours étendu sur son lit, et son frère, en manteau de velours, était assis auprès de lui, lisant la sainte Écriture. Verhoef, courant au lit du ruard, en tira les rideaux avec violence et cria : — Traître, prépare-toi, tu vas mourir. Corneille de Witt se releva, les mains jointes et dans l’attitude d’un homme priant Dieu. Au même moment, l’un de ceux qui venaient d’entrer lança contre lui un coup de crosse de fusil qui brisa les colonnes du lit et qui ne l’atteignit point. Son frère ayant voulu intercéder pour lui, reçut à la tête une blessure qui le couvrit de sang. Malgré les efforts des bourgeois à la garde desquels ils avaient été confiés et qui s’étaient laissé toucher par leur malheur et leur courage, ils furent entraînés hors de la chambre. Sur le haut de l’escalier ils s’embrassèrent, et, tandis que le ruard descendait lentement, appuyé sur son frère, il fut frappé par derrière avec tant de violence, qu’il roula tous les degrés jusqu’à la porte. La troupe féroce déboucha ainsi dans la rue, poussant devant elle ses deux victimes, le ruard tout meurtri, Jean de Witt la tête nue et le visage ensanglanté.

Ceux qui les attendaient au dehors les accueillirent par des cris féroces. Ils voulaient les traîner jusqu’à l’échafaud, qui n’était pas