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il dit à M. Colbert de Croissy « qu’il voyait bien que l’insolence de cette république n’était pas encore abattue, et qu’il ne fallait plus songer qu’à la réduire par terre et par mer à la dernière extrémité[1]. »

Il ne restait plus qu’à combattre. Le prince d’Orange fit afficher sur toutes les places publiques de la Hollande les conditions déshonorantes proposées par les deux rois, et la république retrouva dans le désespoir le courage que lui avait fait perdre la rapidité de ses désastres. On ouvrit toutes les écluses, on brisa les digues, on inonda tout ce qui pouvait être inondé encore, et l’on s’apprêta bravement à se défendre[2]. Cette détermination était d’autant plus hardie, au moment où elle fut prise, que les troupes de terre étaient peu nombreuses et peu résolues, que le prince d’Orange manquait même de boulets et n’avait que soixante quintaux de poudre.

Heureusement la république venait d’échapper, par l’assistance inattendue de la mer, à une descente qui aurait achevé de la perdre. Ruyter, n’ayant que quarante-sept vaisseaux imparfaitement équipés et approvisionnés, douze frégates et une vingtaine de brûlots, avait reçu l’ordre de ne pas attaquer les flottes combinées d’Angleterre et de France qui, après s’être ravitaillées, s’avançaient, fortes de cent soixante voiles, pour opérer le débarquement qu’avait empêché la bataille de Solbaie. L’amiral hollandais devait surveiller leurs mouvemens, et il se posta à Gorée. Après avoir paru à la vue de Schevelingh, village voisin de La Haye, les deux flottes combinées, au lieu de se porter sur la Zélande, que couvrait Ruyter, se dirigèrent vers le Texel, dans l’intention de débarquer leurs troupes sur les côtes de la Hollande septentrionale et de combiner les opérations de l’armée navale avec celles de l’armée de terre. Le 14 juillet, elles attendirent le flux de la marée pour entrer dans le Texel. Mais un vent de nord-ouest qui venait de souffler avec force, avait refoulé et amoncelé les eaux dans la mer fermée du Zuyderzée ; en sorte que ce jour-là, ce qui ne se voyait jamais à une pareille époque de l’année, le reflux dura douze heures au lieu de six, et les empêcha de pénétrer dans le Zuyderzée. Ce mouvement extraordinaire des eaux annonçait la tempête. Elle se déchaîna le lendemain avec violence, dura plusieurs jours, dispersa les deux flottes qui, battues par les vents, perdirent plusieurs vaisseaux de guerre et de charge,

  1. Dépêche de M. Colbert de Croissy à Louis XIV, du 8 août 1673.
  2. Manuscrit no XXVI, p. 31 du liv. XXI de l’Histoire inédite de Wicquefort.