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GUERRE ET NÉGOCIATIONS DE HOLLANDE.

en Flandre, et dix millions[1]. Cette offre devait être acceptée sur-le-champ. Elle donnait à Louis XIV tout le pays qui séparait les Provinces-Unies des Pays-Bas espagnols, depuis la Meuse jusqu’aux bouches de l’Escaut ; elle lui donnait Maëstricht, Venloo, Stevenswerd, Bois-le-Duc, Ravenstein, Breda, Steenbergen, Berg-op-Zoom, Hulst, l’Écluse, etc. ; elle plaçait la France victorieuse entre la république dépouillée des Provinces-Unies et le territoire isolé des Espagnols ; elle lui permettait de faire trembler toujours l’une pour sa liberté, et de rendre désormais impuissans les efforts de l’autre pour le maintien de son existence ; par là, elle annulait la Hollande et amenait inévitablement l’incorporation prochaine de toute la Flandre espagnole à la monarchie française. Le but poursuivi par les longues et habiles négociations des quatre années précédentes se trouvait atteint. La politique profonde et nationale qui se proposait d’étendre la France au nord et d’éloigner de ce côté sa frontière trop rapprochée de sa capitale, était enfin réalisée. M. de Lionne n’aurait pas hésité un instant à accepter ces magnifiques conditions, de peur que les Hollandais, revenus de leur terreur ou inspirés par le désespoir, ne les retirassent. Mais ce continuateur des grands desseins d’Henri IV, de Richelieu et de Mazarin, n’existait plus[2]. L’héritier imparfait de sa pensée et de son autorité, M. de Pomponne, conseilla au roi de ne pas les refuser[3]. Ce fut en vain. Il ne put pas balancer auprès de lui l’ascendant désastreux de Louvois. Cet homme sans mesure et sans habileté qui, malgré l’avis de Turenne et Condé, avait fait commettre la faute militaire de disséminer l’armée et de ralentir l’invasion, fit alors commettre, malgré l’avis du ministre des affaires étrangères, la faute politique de mépriser d’aussi belles offres, et de compromettre cette fois, non plus le moyen, mais le résultat même de l’invasion.

Louis XIV, que sa volonté absolue dans les apparences n’empêchait pas d’être accessible à l’influence d’autrui, privé des sages et tout-puissans conseils de M. de Lionne, était tombé sous l’empire du présomptueux Louvois. Il se laissa persuader par lui que les Provinces-Unies étaient perdues sans remède et qu’elles se résigneraient à tout. Il exigea dès-lors :

  1. Page 142 du vol. XXVI, au dépôt des affaires étrangères.
  2. Il était mort neuf mois auparavant, le 1er septembre 1671.
  3. « Pomponne jugea que le roy ferait bien d’accepter ces offres ; mais les sentimens violens et passionnés de Louvois l’emportaient et le firent charger de conditions qui ne pouvaient pas être plus dures après la conquête entière. » (Manuscrit no XXVI, p. 143 du liv. XX de l’Histoire inédite de M. de Wicquefort).