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GUERRE ET NÉGOCIATIONS DE HOLLANDE.

ennemis de Jean de Witt firent de lui un martyr. Ses trois complices s’étaient réfugiés à l’armée du prince d’Orange, où ils trouvèrent un asile sûr, malgré les recherches des États qui les désignèrent au prince et lui écrivirent : « Nous prenons cette affaire fort à cœur, et nous avons résolu de faire voir notre ressentiment aux auteurs d’un crime commis dans la personne de notre premier ministre[1]. »

Il s’était à peine écoulé quatre jours depuis l’attentat commis contre le grand pensionnaire, lorsque M. de Groot reparut à La Haye. Il y trouva les esprits agités par cet évènement et surtout par l’effroi de l’invasion dont les progrès paraissaient irrésistibles. On y apprenait d’un moment à l’autre la prise des villes les plus considérables et les plus rapprochées, et l’on y était dans la dernière consternation. M. de Groot rendit d’abord compte de sa mission aux États de Hollande, qui s’assemblèrent le 25. Il demanda les pleins pouvoirs nécessaires pour que la négociation ne restât point infructueuse. La délibération fut extrêmement animée. M. de Groot conseilla de se soumettre aux circonstances, puisque l’on ne pouvait pas les dominer. Il proposa de céder à Louis XIV Maëstricht et quelques-unes des places que les États-Généraux avaient conquises sur les Espagnols dans le Brabant et la Flandre, et qu’on appelait pays de la généralité, en payant de plus une somme d’argent pour les frais de la guerre. Il soutint que c’était le seul moyen de conserver la liberté, la religion et la souveraineté des Provinces-Unies. Mais il dit qu’on devait se hâter, parce que le roi de France étendait chaque jour ses conquêtes et avait le dessein de rester dans le pays jusqu’à l’hiver, pour réduire Amsterdam à la faveur des glaces ; « après quoi, ajouta-t-il, il fallait s’attendre à une entière soumission et à un dur esclavage[2]. »

Tout le corps de la noblesse partagea l’opinion de M. de Groot et fut d’avis d’un prompt accommodement. Les députés des villes furent plus divisés. Dans la Hollande méridionale, ceux de Dordrecht, de Leyde, de Delft, de Gorcum, de Schoonhoven, se prononcèrent sans hésiter pour les pleins pouvoirs. Il y en eut même qui, dans l’empressement de leurs craintes, dirent que, pendant qu’ils délibéraient sur les moyens de conserver leur liberté, ils s’exposaient à la perdre. Ceux de Rotterdam, de Gouda, de Shiedam, de Brielle, alléguèrent

  1. Histoire de la vie et de la mort de Corneille et de Jean de Witt, t. II, p. 435 (édit. d’Utrecht, 1709, in-12). — Basnage, Annales, etc., t. II, p. 294. — Cerisier, Histoire générale, etc., t. VII, p. 357.
  2. Manuscrit no XXVI, p. 134 du liv. XX de l’Histoire inédite de M. de Wicquefort.