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Ville en poussant des cris de mort contre Corneille de Witt, avait mis en pièces le tableau où il était représenté appuyé sur un canon pendant la glorieuse expédition de Chatham, et avait détaché la tête de son portrait pour la pendre au gibet de la ville[1]. Ces violences qui avaient éclaté à son retour ne s’arrêtèrent point là. Le 21, vers minuit, quatre assassins essayèrent de forcer sa maison pour lui faire subir le sort qu’à la même heure éprouvait son frère. Mais la garde bourgeoise accourut et les mit en fuite[2].

Le lendemain du jour où il avait été si grièvement blessé, le grand pensionnaire écrivit aux États une lettre calme et simple dans laquelle il leur annonçait l’attaque dont il avait été l’objet, et leur exprimait l’espoir que ses blessures ne seraient pas dangereuses. Il la terminait en ces termes : « J’ai sujet de remercier Dieu de ce que cette rencontre ne m’a pas été plus fatale. Mais, comme je ne suis pourtant pas en état de faire les fonctions de ma charge auprès de vos nobles et grandes puissances, je les supplie très humblement de vouloir m’en dispenser jusqu’à ce que je sois en meilleur état. Je prie Dieu qu’il veuille bénir extraordinairement votre illustre gouvernement dans ces temps dangereux[3]. »

Les États, composés surtout de ses amis, n’apprirent point cet attentat sans trouble et sans indignation. L’un des meurtriers, nommé Jacques Vander Graef, fils d’un conseiller à la cour de Hollande, fut arrêté ; il avoua tout et dit qu’il avait cru servir sa patrie en la délivrant de celui qui la trahissait. La cour de Hollande le condamna à perdre la tête. Le peuple demanda sa grace à grands cris, et M. de Witt fut supplié par ses propres amis de la solliciter lui-même, afin de désarmer sa colère. Mais dans son austère rigidité il s’y refusa en disant qu’il fallait laisser à la justice un libre cours, et ne pas compromettre davantage la sécurité publique par l’impunité des coupables. « Le peuple, ajoutait-il, me hait sans raison, et je ne veux pas regagner son affection par une démarche dont tous les bons citoyens auraient sujet de se plaindre[4]. » Vander Graef mourut avec courage, et les

  1. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 283. — Leclerc Histoire, etc., t. III, p. 289, col. 2. — Cerisier, Histoire générale, t. VII, p. 353-354. — Samson, Histoire de Guillaume III, t. II, p. 261-262 (édition de La Haye, 1703, in-12).
  2. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 298. — Cerisier, Histoire générale, t. VII, p. 358. — Samson, Histoire de Guillaume III, t. II, p. 262.
  3. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 291-292.
  4. Samson, Histoire de Guillaume III, t. II, p. 258-259. — Basnage, Annales, t. II, p. 293. — Cerisier, Histoire générale, etc., t. VII, p. 356.