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Sur cette déclaration qui éloignait l’espoir de la paix sans suspendre la marche de la conquête, M. de Groot retourna en toute hâte à La Haye, pour demander des instructions précises et des ordres définitifs.

Pendant que les députés étaient au camp de Louis XIV, la haine populaire avait éclaté contre les frères de Witt, et avait commencé la révolution intérieure qui devait bientôt arracher à ces deux grands citoyens le pouvoir et la vie. Le parti du prince d’Orange, grossi de tous ceux qu’effrayaient ou qu’exaltaient les revers de la république, ne se contentait plus de la charge d’amiral et de capitaine-général, récemment conférée à son jeune chef. Considérant cet héritier des Nassau comme seul capable de relever les courages et de sauver la république, il voulait le placer au même rang que ses ancêtres, et rétablir en sa faveur le stathoudérat que le parti contraire avait fait abolir cinq années auparavant[1]. Le grand pensionnaire étant un obstacle à ce dessein, on résolut de se défaire de lui. Les calomnies les plus odieuses furent répandues pour le perdre. Les ministres calvinistes, presque tous attachés à la maison d’Orange, et dont les plus violens étaient, à La Haye, Simon Simonides et Thaddaeus de Landaman, à Dordrecht Henri Dibbets, à Rotterdam Jacob Borstius et Jean Ursimes, à Haarlem Samuel Gruterus[2], le dénoncèrent en chaire comme le complice de l’invasion. Ce républicain zélé, qui avait un si grand attachement pour sa patrie, et qui ne l’avait exposée qu’en cherchant à la rendre indépendante de son trop redoutable voisin, fut accusé de la livrer à Louis XIV par trahison. Cet homme intègre et désintéressé, qui depuis dix-neuf ans négligeait ses propres affaires pour celles de l’état, qui, ne recevant que 3,000 livres[3] par an de la république, avait naguère refusé 100,000 livres que la province de Hollande lui offrait en récompense de ses services[4], fut accusé de concussion. On prétendit qu’il avait détourné l’argent des dépenses secrètes, et l’avait envoyé à Venise, pour aller vivre dans cette ville, après la conquête des Provinces-Unies[5]. On le rendit l’objet de l’aversion populaire. L’aveugle multitude, qui l’avait long-temps admiré, et lui avait attribué avec reconnaissance

  1. Par l’Édit perpétuel du 5 août 1667.
  2. Cerisier, Histoire générale, etc., t. VII, p. 327-331.
  3. Jusqu’en 1668. À cette époque, il en eut 4,000.
  4. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 295. Cerisier, Histoire générale, t. VII, p. 359-360.
  5. Basnage, Annales, etc. t. II, p. 295.