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tion complète à des observations inexactes et insuffisantes, qui ont combattu une psychologie par une autre ? Si quelqu’un, en dehors de l’école éclectique, s’est livré à une analyse approfondie de l’intelligence pour montrer que tout ne vient pas des sens, si quelque autre que M. de Biran a tiré des profondeurs de la science le grand fait de la liberté humaine qui répond à tout, quel est son drapeau, où est son école ? M. de Bonald, M. de Maistre, ont élevé la voix des premiers, c’est leur gloire ! Ils n’ont pas ménagé Condillac ; de quelles injures ne l’ont-ils pas chargé avec tous les siens ! Mais qu’avaient-ils à substituer à la sensation, eux pour qui la raison de l’homme était la plus grande ennemie de l’homme ? Quand on professe le mépris de la psychologie, on ne réfute pas un système psychologique. S’ils avaient réfuté le système de la sensation, que serait-il resté à l’homme dépouillé des idées sensibles, si ce n’est cette première révélation antérieure à la venue du Messie, qu’ils ont renouvelée de Gale et de Cudworth ? révélation incompréhensible, qui n’est pas prouvée, qui n’est pas nécessaire, qui n’est pas même possible, car elle ne saurait exister qu’avec la raison, loin de suffire pour la remplacer. Les grands coups d’épée de M. de Maistre prouvaient son noble cœur et son grand courage ; mais, quand il aurait eu, le puissant écrivain, la parole même de Bossuet, qui valait des armées, nul ne peut combattre avec des chimères. Dieu qui prend la parole au premier jour de la création, et révèle à sa créature toutes les sciences divines et humaines ; la raison de l’homme humiliée, détruite, et condamnée à n’être plus qu’un écho de la tradition, est-ce là une théorie qui puisse faire fortune dans un pays et dans un temps où chacun veut voir, toucher et comprendre ? De telles rêveries ne sont acceptées que d’enthousiasme, les yeux fermés. Tout infatigable qu’était M. de Bonald à répéter sans cesse les mêmes erreurs, qui a-t-il jamais persuadé avec ses éternels sophismes, si ce n’est peut-être le clergé, qui n’avait nul besoin d’être converti au spiritualisme ? Les Soirées de Saint-Pétersbourg sont un monument de la langue ; la Législation Primitive est un livre considérable, à la bonne heure ! La moindre discussion psychologique sur l’origine des idées et la personnalité humaine n’aura-t-elle pas toujours plus de poids en philosophie que toutes ces invectives éloquentes ? M. Lamennais, qui, grace à cette admirable passion qui gronde dans toutes ses paroles, a tant remué les esprits, et qui, par une destinée unique, a failli deux fois fonder une école, et deux écoles contradictoires, quelle trace a-t-il laissée, je ne dis pas dans l’histoire, à laquelle il appartient, mais dans la philosophie ? La