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humaine, et une intelligence très vive et très nette du jeu de nos facultés entre elles ; mais le sujet est loin d’être épuisé, le rapport de l’habitude avec les lois qui régissent notre développement, soit que l’habitude les fasse naître ou qu’elle les subisse, n’est pas suffisamment approfondi : les habitudes intellectuelles, et surtout les habitudes morales, sont négligées, et l’auteur semble trop exclusivement préoccupé de ce qui touche à nos sensations et à nos besoins physiques. L’école de philosophie qui régnait alors étudiait de préférence à toute autre question les rapports du physique et du moral de l’homme, et ne les étudiait guère que pour arriver à constater, suivant l’expression de Cabanis, que « le moral n’est autre chose que le physique diversement modifié. » M. de Biran, qui sans doute n’allait pas jusque-là, croyait pourtant, dans ces commencemens de sa carrière philosophique, que tous les phénomènes de conscience avaient leur origine dans la sensation. Un second mémoire, qui traite de la Décomposition de la Pensée, et qui obtint aussi le prix de l’Institut en 1805, est déjà au contraire une protestation directe contre le sensualisme. Le but de M. de Biran, dans ce mémoire, est de montrer qu’il y a tout un ordre d’idées qui demeurent inexplicables, si l’on n’admet pas le fait primitif de l’aperception immédiate du moi par lui-même, à titre de cause ; c’est ce même principe qu’il a depuis entouré de tant de lumières, et dont il a fait une des théories les plus originales et les plus complètes dont la philosophie moderne se soit enrichie. Dès qu’il eut entrevu la véritable importance de la notion de cause, il concentra toutes ses observations sur ce seul point, et ne tarda pas à pénétrer si avant dans le mystère de la puissance humaine, que tout cet ordre de faits, jusque-là mal connu, devint, grace à lui, un des points les moins obscurs de la science psychologique, et servit même bientôt à éclairer tous les autres. Déjà, dans un troisième mémoire, intitulé de l’Aperception immédiate interne, couronné en 1807 par l’académie de Berlin, on voit se développer toute cette admirable théorie de la volonté, qui devait être le dernier terme et le but des travaux de M. de Biran, en même temps que le point de départ de la philosophie éclectique ; il exposa enfin cette théorie, avec la maturité de jugement et la richesse d’applications qui décèlent un maître, dans son grand ouvrage sur les Rapports du physique et du moral de l’homme, envoyé en 1815 à l’académie de Copenhague, et qui aurait obtenu le prix, suivant la déclaration de la classe, si son auteur l’avait signé. Ce problème des rapports de l’ame et du corps attirait à lui tous les esprits philoso-