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LE CONSEIL D’ÉTAT.

tieux administratif sont d’avis de prendre à son égard de telles précautions, que tout abus est impossible. La commission de la chambre des députés les prodigue avec un luxe qui dépose de sa sollicitude pour les intérêts publics. La juridiction n’offrirait de danger réel qu’autant qu’elle pourrait sortir de ses attributions ; le contentieux de l’administration touche de si près à l’administration pure, la distinction entre l’un et l’autre est quelquefois si subtile et si délicate, que la confusion pourrait aisément s’établir. Mais le gouvernement, qui peut toujours dessaisir l’autorité judiciaire elle-même quand elle s’écarte de sa sphère, posséderait à bien plus forte raison ce droit à l’égard d’une juridiction administrative, et rien n’est plus facile que d’en organiser l’exercice.

Avec cette garantie, toute inquiétude doit disparaître. Le jugement du contentieux renfermé dans ses limites ne peut mettre en question aucun grand intérêt de l’état. On a vu qu’il ne peut affecter ni les négociations diplomatiques, ni les mesures de sûreté publique, ni l’action parlementaire. Il ne peut jamais donner lieu à des arrêts de règlement. De bonne foi, la cour des comptes jugeant souverainement tous les comptables de deniers publics, les tribunaux civils statuant sur le domaine de l’état et l’enregistrement, les tribunaux correctionnels tenant entre leurs mains l’exécution des lois sur les douanes et les contributions indirectes, les cours criminelles statuant sur la définition et la compétence dans les matières de leur ressort, n’offriraient-ils pas de bien autres dangers s’il fallait céder à cet esprit de défiance qui suppose toute juridiction prête à violer les lois, à méconnaître l’intérêt public et à troubler l’ordre social ?

Je ne puis donc me rendre à aucune des objections dirigées contre l’établissement d’une juridiction souveraine pour le jugement du contentieux administratif, et j’ai la confiance que la discussion démontrera leur futilité.


Mais comment constituer la juridiction ? À qui la confier ? C’est la dernière question à examiner, et elle est encore pleine de difficultés.

Quelques esprits absolus dans leur logique ont proposé de renvoyer aux tribunaux le contentieux administratif. C’était l’opinion de l’homme d’état illustre auquel on attribue l’article de la Revue française de 1828. Je doute fort qu’après avoir traversé les affaires et contrôlé ses théories par une longue et habile application, son avis soit demeuré le même. Quoi qu’il en soit, je ne saurais le partager.