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LE CONSEIL D’ÉTAT.

nistratif, et la loi qui le rétablirait dans son intégrité ne contiendrait pas une innovation.

Je conviens, avec les défenseurs des projets de loi présentés à diverses reprises par le gouvernement, que l’arbitraire qu’on veut consacrer au profit de l’administration serait tempéré par des précautions qui assurent aux parties privées des garanties réelles. Le conseil d’état sera saisi de l’affaire ; un rapporteur en rendra compte, des avocats, un commissaire du roi seront entendus, et l’avis sera donné en assemblée générale, après une délibération rendue par les seuls membres du service ordinaire. Un avis entouré de telles formalités méritera toute confiance, je l’accorde ; mais quelle autorité légale exerce-t il ? Aucune. Le gouvernement demeurera entièrement libre de le suivre ou de s’en écarter ; il pourra, s’il lui plaît, le remplacer par une décision diamétralement opposée.

Étrange combinaison, par laquelle tous les moyens d’information sont donnés à qui n’émettra qu’un simple avis, et refusés à qui aura la décision ; qui, selon les expressions de l’honorable et savant rapporteur de la chambre des députés, n’accorde aux droits privés « ni la responsabilité du juge légal, » le ministre ne pouvant être sérieusement responsable, « ni celle du juge réel, » le conseil d’état n’émettant qu’un simple avis : « fiction, » comme il le dit encore éloquemment, « qui brise le lien moral et sacré qui unit le juge au jugement, dont l’effet est d’imprimer à la juridiction du conseil d’état on ne sait quel caractère insaisissable qui n’a ni les formes de l’administration ni les conditions de la justice… de la justice dont il est impossible de concevoir l’idée, là où n’existe pas la tutélaire et inviolable garantie de la responsabilité du juge. »

Un ministre sera donc responsable des décisions du conseil d’état et pourra en conséquence les modifier, les rapporter, les dénaturer. Mais quel sera ce ministre ? Apparemment celui qui contre-signera l’ordonnance. Mais lequel sera chargé de ce contre-seing ? Celui au département duquel l’affaire appartiendra ? Le voilà appelé à juger ses propres actes, à reconnaître lui-même s’il a ou non excédé ses pouvoirs, mal appliqué les lois, porté atteinte à des conventions obligatoires. Le ministre président du conseil d’état ? Mais il ne sait point l’affaire, il n’a pas lu l’instruction, pas entendu le débat oral : le voilà juge de tous ses collègues et responsable d’une signature donnée sans connaissance de cause, ou obligé d’étudier et de vérifier après coup, et en l’absence des élémens nécessaires, toutes les décisions du conseil d’état.