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ment est souvent entraîné à faire de larges concessions aux intérêts privés, et dans l’état de nos habitudes et de nos mœurs politiques, avec nos majorités flottantes, avec le besoin qu’éprouvent certains hommes d’état de se créer des appuis à tout prix, j’avoue que les intérêts publics me paraissent mieux gardés par une juridiction quelconque que par des ministres trop souvent exposés aux violences de la cupidité privée.

Si les intérêts de l’état sont mal garantis par ce système, il ne faut pas croire que ceux des particuliers s’en trouvent mieux. Le premier besoin des citoyens dans leurs relations d’intérêt, dans leurs affaires, c’est l’absence d’arbitraire, la sécurité, la justice, en un mot. N’eussent-ils à redouter qu’une décision injuste sur cent, l’inquiétude s’empare d’eux, et un système qui répand l’alarme dans tous les esprits ne sera jamais ni tutélaire, ni libéral.

J’avoue enfin qu’autant je suis partisan du principe de la responsabilité ministérielle pour tout ce qui touche aux choses politiques et de gouvernement général, autant je le redoute dans les affaires de détail et d’intérêt privé.

Pour la politique, pour l’administration elle-même, dans l’exercice des pouvoirs discrétionnaires, qui, à mes yeux, la constituent seuls, la responsabilité ministérielle est la base de notre constitution, le complément et la raison dernière du gouvernement représentatif. Par la responsabilité politique, les chambres font prévaloir leurs doctrines, leurs volontés ; elles ne soutiennent un ministre qu’autant qu’il s’y dévoue et se montre leur fidèle interprète : admirable système tant qu’il n’attribue à la responsabilité que des objets dignes de la mettre en jeu. À cette condition, elle est réelle ; elle tient les ministres sur leurs gardes en les exposant à un péril sérieux, elle excite la sollicitude des chambres en n’appelant leurs regards que sur des questions qu’elles ont le devoir et le goût de discuter. Que si l’on soumet à la responsabilité des objets qui n’appartiennent ni à la politique, ni aux grands intérêts de l’état, ils seront inévitablement sacrifiés à de plus hautes considérations. Les questions privées, qui n’enflamment aucune passion, qui n’ébranlent aucun système, qui n’agitent aucune idée générale, passent presque toujours inaperçues dans les assemblées. Les majorités ne veulent pas descendre à de telles misères, et mettre un ministère en question pour de si obscurs démêlés. J’affirme que tout ce qui est attribué à la responsabilité ministérielle, en dehors de sa compétence politique, est livré à l’arbitraire et au despotisme.