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LE CONSEIL D’ÉTAT.

qui l’ont dirigé. Mais qui ne voit la monstrueuse confusion de pouvoirs qu’engendre un tel système ? Les chambres sont appelées à connaître de questions d’intérêt privé, de procès particuliers ; elles deviennent de véritables tribunaux, sans débat contradictoire, sans examen de pièces, sans aucune des garanties d’une justice réglée ; les voilà descendues de leur haute sphère pour prononcer sur des clauses de marchés, sur des règlemens de prix, sur des interprétations de textes. Qu’arrivera-t-il si elles ne sont pas d’accord, si l’une approuve quand l’autre blâme ? Enfin, et ce n’est pas une considération de médiocre importance pour ceux qui se préoccupent à juste titre des prérogatives du pouvoir exécutif, l’administration passe dans leurs mains.

Admettons toutefois qu’elles acceptent ce rôle secondaire. Quel sera l’effet de leur décision ? La mesure prise par le gouvernement demeurera irrévocable ; c’est un principe en matière contentieuse si, par exemple, le trésor a été déclaré libéré d’une créance réclamée contre lui, cette déclaration forme un droit acquis à l’état. Le ministre sera blâmé, renversé, si l’on veut ; mais qu’importe au citoyen ruiné peut-être par sa décision ? Établira-t-on que dans certains cas les ordonnances rendues au contentieux pourront être rapportées ? C’est un principe dangereux à introduire dans notre droit administratif. Mais, si c’est le citoyen qui a gagné son procès, le condamnera-t-on à payer les sommes dont il avait obtenu la décharge ?

Qu’on ne prétende point que les mêmes objections s’appliquent à la responsabilité politique pour les actes du pouvoir discrétionnaire. Là, aucun droit privé n’est compromis et ne demande une réparation ; aucune violation de loi n’est alléguée et n’appelle une décision interprétative. Les intérêts généraux seuls sont en cause, et leur défense est dans le domaine des chambres. Prenons un exemple. L’administration statue sur l’acceptation ou le refus des libéralités faites aux établissemens publics ; elle prononce en toute liberté ; qu’elle abuse de cette faculté soit pour refuser systématiquement toutes les libéralités de ce genre, ce qui nuit à des établissemens dignes d’appui, soit pour les accepter toutes, ce qui accroît démesurément les propriétés de main morte, elle en deviendra responsable, en ce sens que les chambres peuvent se plaindre de l’un ou l’autre de ces abus, le blâmer, frapper le ministre qui l’aura commis, quand il pouvait agir autrement, y mettre ainsi un terme, et enfin au besoin modifier la loi de manière à garantir l’avenir. Leur intervention en ce cas est utile, efficace et conforme à leurs attributions.