Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/619

Cette page a été validée par deux contributeurs.
615
LE CONSEIL D’ÉTAT.

il est fait appel non plus au bon vouloir de l’administration, mais à la loi elle-même : c’est à une juridiction à prononcer.


À son défaut, la responsabilité ministérielle deviendrait la dernière sauve-garde des droits privés ; mais elle est sans application possible à ces sortes de questions. Si je le démontre, j’aurai achevé de prouver qu’une juridiction seule doit prononcer.

Le principe de la responsabilité ministérielle est une des bases de notre constitution politique, mais on n’en renferme pas toujours l’application dans de sages limites ; on l’étend sans mesure et l’on ne s’aperçoit point qu’il ne conduit à rien moins qu’à l’omnipotence ministérielle avec les développemens qu’on lui donne dans la théorie, et à l’impunité des abus, c’est-à-dire à la tyrannie, avec le peu d’application dont il est susceptible dans l’usage.

L’administration est responsable, il est vrai ; grace à ce principe, elle peut être investie de pouvoirs nombreux et importans ; facilité heureuse et qui ne sert pas moins les intérêts privés que la chose publique. Mais à quelle responsabilité sont dus ces avantages ? Uniquement à celle qui s’attache à l’exercice de ses attributions discrétionnaires. Le pouvoir parlementaire, en les déléguant, retient à lui un droit de contrôle et de surveillance et s’assure ainsi que l’administration remplira, comme il l’entend, le mandat qu’il lui remet : elle devient responsable de l’esprit qui l’anime, des règles qu’elle adopte, des résultats qu’elle obtient ; placée sous cette surveillance incessante, elle suit nécessairement le mouvement et les progrès de l’opinion, obéit aux instincts publics et satisfait à tous les besoins du pays. La responsabilité qui pèse sur elle devient un des élémens nécessaires du gouvernement représentatif.

Le principe de la responsabilité ne s’applique point et ne peut pas s’appliquer aux faits pour lesquels l’administration est soumise à des règles et ne jouit d’aucune liberté d’action ; elle n’est pas responsable de ce qu’elle exécute ni de ce qu’elle omet, par l’ordre ou l’interdiction de la loi. La responsabilité ne peut exister sans la liberté ; c’est un principe de droit autant que de morale et de philosophie. Je conviens que, si elle n’est pas responsable de l’exécution d’une loi impérative, elle le serait de sa violation ; mais il faut à cet égard éviter toute confusion. Que dans des circonstances où le salut de l’état est en question, il appartienne à un ministère d’user de pouvoirs extraordinaires, en dehors des lois et même contre leurs dispositions, sauf à réclamer ensuite du parlement un bill d’indemnité,