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LE DOCTEUR HERBEAU.

témoignages de la plus adorable tendresse. Un confrère de M. Savenay, de la Faculté de Paris, le jeune docteur Lombard, déjà cher à la science presqu’autant qu’à ses amis, est venu dernièrement s’établir dans la même ville. Il a épousé Mme Savenay, honnête et belle fille de vingt ans à laquelle il a su plaire, et que le bonheur et l’amour ont guérie, comme le soleil guérit les fleurs qui souffraient à l’ombre. Tout ce monde se mêle peu à la province, vit heureux, travaille et s’aime. Déjà le jeune ménage a fait présent à Savenay, pour le jour de sa fête, d’une jolie petite nièce, blanche et rose comme sa mère.

Pendant ce temps, Célestin accomplit ses destinées. Il se réhabilite par l’ordre et par le travail. Il expie courageusement les égaremens de sa jeunesse. Célestin a trouvé son maître. M. Pistolet est un apothicaire de la vieille roche. À peine a-t-il vu notre jeune ami, qu’il a fait aussitôt appeler un barbier du voisinage pour faucher ce luxe incongru de barbe épaisse et de longs cheveux. Vainement Célestin s’est débattu. Deux jeunes Purgon en herbe vous l’ont empoigné, vous l’ont scellé sur une chaise, et Figaro a promené sur cette tête inculte et sur ce visage feuillu les branches de ses ciseaux et la lame de son rasoir. Puis, la moisson achevée, on a passé un tablier de toile verte autour du corps de l’homœopathe, on lui a mis un pilon entre les mains, et on vous l’a placé tout d’abord devant un mortier de marbre. Le jour même de son arrivée, il a pilé durant dix heures consécutives. Le soir, il s’est délassé à rouler dans de la poussière de réglisse les pilules qu’il avait préparées le matin ; ainsi des jours suivans. On ne saurait croire quelle influence a le pilon sur ce caractère indomptable. Il semble que Célestin ait mis dans le même mortier tous ses défauts, tous ses vices, tous ses travers, et qu’il les pile, les écrase et les réduit en poudre. Déjà, vous ne reconnaîtriez plus l’étudiant de Montpellier. Mais quelle n’est pas sa confusion en voyant, un jour, entrer dans la pharmacie de son patron Mme K…, qui recule elle-même d’étonnement en reconnaissant le nourrisson des muses, occupé à lui préparer une potion suivant l’ordonnance ! Se remettant aussitôt, Corinne, qui avait à se venger, le salua de ces trois vers d’un poète qu’un poète venait tout récemment de découvrir et de donner à la France :

Apollon, dieu sauveur, dieu des savans mystères,
Dieu de la vie et dieu des plantes salutaires,
Dieu vainqueur de Python, dieu jeune et triomphant !