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LE DOCTEUR HERBEAU.

Le même jour, comblé des malédictions de sa famille et de l’animadversion de ses concitoyens, il partit à neuf heures du soir, comme il était venu, sur l’impériale de la diligence, pour aller piler de la rhubarbe dans la patrie de Mme K… et de M. de Pourceaugnac.

XI.

Ce n’est que lorsqu’il est passé qu’on peut évaluer les dégâts causés par l’orage. Ainsi, ce ne fut qu’après le départ de leur fils que les deux époux purent apprécier nettement leur désastre et leur désespoir. Célestin présent, l’ivresse de la douleur, l’étourdissement, la consternation, la stupeur, ne leur avaient pas permis de mesurer l’étendue de leur infortune ; mais, lorsqu’après deux mois de cet horrible cauchemar, ils se réveillèrent seuls, dans cette maison que Célestin venait de dévaster comme une trombe, lorsqu’ils comprirent enfin que ces deux mois n’étaient pas un rêve, mais une sombre réalité, ce fut un terrible réveil, et ce dut être un spectacle digne d’une pitié profonde, que ces deux vieillards mêlant silencieusement leurs larmes sur les débris de leur bonheur et sur les ruines de leurs espérances.

De même que les orages du ciel ne s’éloignent pas tout d’un coup, et que, long-temps après que l’horizon s’est éclairci, partent encore de loin en loin des éclairs et des coups de foudre, de même la tempête que Célestin avait amassée sur le toit paternel gronda longtemps après sa fureur apaisée. Long-temps encore des tonnerres lancés de Montpellier, sous forme de lettres de change, vinrent de loin en loin éclater dans le salon du docteur Herbeau.

Écrions-nous avec le roi-prophète : Que les gloires de la terre sont vaines et périssables ! Voici quelques mois à peine, le docteur Herbeau s’épanouissait au faîte des félicités humaines. Tout lui souriait et lui faisait fête. L’aisance et le bien-être affluaient à son foyer. Des amis empressés égayaient sa fortune. Il s’endormait dans la confiance et s’éveillait dans la joie de sa destinée. Une étoile invisible illuminait son front ; dans son cœur fleurissait une mystérieuse violette. Mais, ainsi qu’il suffit de quelques coups de hache pour mettre le cèdre au niveau de l’hysope, il a suffi de quelques jours pour abattre tant de prospérités. Hélas ! combien est rapide et facile à descendre la pente du bonheur, si lente et si rude à gravir !

Ce n’est déjà plus la haine qui veille à sa porte, mais le silence et