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LE DOCTEUR HERBEAU.

ciel de l’Italie : c’est presque la terre où les orangers fleurissent. Il y règne un printemps éternel. Vous avez agi prudemment, milord, en vous établissant dans ce paradis de la France. La température de votre patrie vous eût été mortelle ; je crois même que vous n’auriez pas long-temps résisté au climat de nos provinces du centre. L’hiver est très âpre à Saint-Léonard ; nous nous ressentons du voisinage de la Creuse.

Lord Flamborough regarda le docteur d’un air presque étonné.

— Je ne suis pas faible, répondit-il froidement ; ma poitrine n’est pas délicate, mon organisation n’est pas souffreteuse. J’ai passé deux hivers à Saint-Pétersbourg ; j’ai voyagé dans la Norvége ; je suis allé au Spitzberg ; j’ai vécu chez les Esquimaux et chez les Lapons. Je n’ai jamais été malade, et je vous tuerais d’un coup de poing.

Le docteur Herbeau demeura quelques instans abasourdi.

— Il paraît toutefois, milord, que Montpellier a su fixer votre humeur voyageuse ; c’est là que sont vos affections, c’est là que vous avez dressé votre tente.

— Je m’ennuie partout et n’ai d’affection nulle part, répliqua lord Flamborough.

— Ah ! milord, s’écria le docteur Herbeau, permettez-moi de croire que vous aimez mon fils et que Saint-Léonard a su vous plaire ; comment expliquer autrement votre long séjour dans ma maison ?

— Je n’aime pas votre fils, répondit gravement lord Flamborough. Je n’aime que la pêche à la ligne. Saint-Léonard est la plus sotte ville que j’aie jamais rencontrée sur mon chemin. Votre rivière est comme la mer de Gênes, mare senza pesce, elle n’a pas de poissons. Quant à votre maison, on y vit fort mal.

— Pourquoi diable y restez-vous ? dit le docteur poussé à bout par cette rare impertinence.

— Vous êtes bien curieux ? répliqua tranquillement l’Anglais.

— Ah çà ! monsieur, s’écria le docteur, qui ne se contenait plus, prenez-vous ma maison pour une auberge ?

— Pour une auberge détestable, répondit le lord sans s’émouvoir.

— Monsieur !… s’écria le docteur Herbeau, rouge comme une pivoine.

— J’ai beaucoup voyagé, poursuivit paisiblement lord Flamborough. Je connais les locande de l’Italie, les tavernes anglaises, les kermesses allemandes, les cabarets de la France, les ventas, les fondas et les posadas de l’Espagne. J’ai visité les Calabres et la Sicile. Mais