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LE DOCTEUR HERBEAU.

frappant sur l’épaule, le jour de la vengeance approche. Il approche le saint jour où dégorgeront les sangsues et les vampires qui ont sucé le sang du pauvre peuple. Regardez bien cette place, Grippard ! c’est la place des Récollets. Plus d’une tête est destinée à tomber sur cette place : la première qui tombera, vous ne la relèverez pas.

Là-dessus, l’honnête huissier prit ses jambes à son cou, et s’enfuit comme s’il avait eu tous les démons de l’enfer à ses trousses.

Nous devons renoncer à raconter en détail le trouble et le désordre que Célestin continua de jeter sous le toit de ses parens. Ce fut, chaque jour, dans ses mœurs et dans ses habitudes, quelque découverte affligeante, chaque jour quelque nouvel épisode aussi déplorable que celui qui signala le lendemain de son arrivée. Un matin, ayant enfourché le cheval que lui avait acheté son père, il le fit galoper de telle sorte, que la pauvre bête rentra fourbue à l’écurie et fut trouvée, le lendemain, sans vie, sur la paille. Le docteur Herbeau acquit bientôt la certitude que son fils n’avait rien fait à Montpellier que hanter les estaminets, boire, fumer, et se perdre de dettes. Il n’était guère de courrier qui n’apportât au logis quelques épîtres au sujet des sommes dues par Célestin ; entre autres, un débitant de tabac réclamait sept cent vingt-sept francs pour fourniture de cigares. Célestin remplissait la maison paternelle des éclats de sa voix et de la fumée de sa pipe. Ni les prières de sa mère, ni les sollicitations de son père n’avaient pu le décider à se faire émonder le visage. Il jurait, crachait du matin au soir, passait la moitié des journées au billard, et ne rentrait au gîte que pour désespérer sa famille par son appétit, par ses manières, par ses opinions et par son langage. Il s’était observé d’abord ; mais, au bout de quelques semaines, il avait lâché la bride à tous ses mauvais instincts. C’était Riquemont à domicile, Riquemont doublé de lord Flamborough !

Les jours suivaient les jours, les semaines se succédaient, le jeune lord ne bougeait pas ; il semblait avoir pris racine à Saint-Léonard. Voici en peu de mots quel était le genre de vie qu’il avait adopté dès le lendemain de son installation, et duquel il ne s’était pas une fois départi. Il se levait à six heures du matin, avalait une grande tasse de café à la crème, puis allait, jusqu’à l’heure du déjeuner, pêcher à la ligne sur les bords de la Vienne. À l’heure du déjeuner, il rentrait ponctuellement, saluait froidement les deux époux, serrait la main de Célestin et se mettait à table. Il mangeait en silence, vidait gravement sa bouteille de vin de Bordeaux, ne répondait que par monosyllabes aux questions qu’on lui adressait, et, le repas ter-