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LE DOCTEUR HERBEAU.

apporter les bienfaits de mes découvertes. C’est pour vous, pour vous seuls, que j’ai pâli dans le travail, pour vous que j’ai brûlé mon sang dans les veilles. Pendant cinq ans, messieurs, privé des baisers de ma mère, j’ai fouillé chaque jour, chaque nuit, à toute heure, le grand mystère de la science ; mes belles années s’y sont consumées ; mais à force de plonger dans l’abîme, une fois j’en suis sorti vainqueur. (Murmures d’approbation ; triomphe des deux époux.) J’ai cru m’apercevoir, messieurs, poursuivit Célestin, que les opinions politiques et littéraires que j’ai professées devant vous n’avaient pas entièrement conquis votre suffrage. Demandez ma vie, prenez ma tête ; quant au sacrifice de mes opinions, jamais. Laissez-moi vous dire, d’ailleurs, que vous ne sauriez désormais les proscrire sans une horrible ingratitude, car ce sont elles qui m’ont poussé dans les voies nouvelles de la science ; c’est à elles que je dois et que vous devez la découverte que je vous apporte. (Écoutez, écoutez.) Tout se tient, messieurs ; les arts, la littérature, la science et la politique sont unis par des liens invisibles qu’on ne saurait briser sans arrêter la marche progressive de l’humanité. La politique, les arts, la science et la poésie, grand quadrige humanitaire, marchent ensemble et du même pas. Je sais des gens qui ne consentent à avancer d’un pied qu’à condition qu’ils reculeront de l’autre ; des gens qui concilient le culte du passé avec la religion de l’avenir, poussent au char de la main gauche et le retiennent de la droite, accouplent les institutions d’un peuple libre avec une littérature de tyrans et d’esclaves, et posent effrontément le bonnet de la liberté sur la perruque académique. Moi, messieurs, plus conséquent avec mes principes, je suis allé de la réforme politique à la réforme littéraire, et de là, passant à la science, je me suis convaincu qu’elle devait, elle aussi, subir l’éternelle loi du progrès qui régit le monde, et sortir de l’ornière où elle se trottait depuis quelques milliers de siècles. (Marques de vive curiosité ; Adélaïde frissonne ; le docteur avale un verre d’eau.) Jusqu’à présent, messieurs, on s’était imaginé qu’Hippocrate, ce roi de la routine, avait établi la science médicale sur des bases impérissables. Hier encore, on croyait que Gallien, Avicenne, Boerhaave, Stall, Bordeu, Pinel, Broussais, Bichat, Andral et tous les prétendus savans qui ont étudié l’organisation de l’homme et l’action des corps de la nature sur cette organisation ; on croyait, dis-je, que ces illustres empiriques avaient trouvé quelques vérités lumineuses, et légué à leurs successeurs quelques observations utiles. Profonde erreur qui n’a fait que trop de victimes ! Nous sommes deux ou trois qui venons de