Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/543

Cette page a été validée par deux contributeurs.
539
HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

mains. Des deux côtés l’on consulte l’Europe. Nourri-Effendi s’adresse à lord Ponsonby (dépêche du 22 mai), et demande ce qu’il faut faire, à quoi lord Ponsonby répond : « Mon gouvernement ne vous conseille pas la guerre ; mais, si vous la faites, tâchez de réussir. » Méhémet-Ali s’adresse aux quatre consuls-généraux, et ceux-ci, cédant à l’évidence des faits, ne peuvent que lui dire : « Si vous êtes attaqué, repoussez la force par la force. » Dans cette guerre civile entre musulmans, l’Europe, comme si elle assistait à un tournoi, laisse tomber les barrières, et crie aux deux champions : « Allez ! »

Mais la déclaration des consuls, ce laissez-passer donné à la victoire égyptienne, n’a-t-il pas été désavoué par leurs gouvernemens respectifs ? On ne trouve pas la moindre trace d’un tel désaveu dans les documens anglais. Il y a mieux, en refusant d’assister le sultan dans cette dernière tentative, l’Angleterre et la Russie ont clairement montré qu’elles le considéraient comme l’agresseur. Toutes les réclamations que la diplomatie européenne a pu soulever contre Méhémet-Ali postérieurement à la bataille de Nézib, tombent devant ce fait. Les puissances, n’étant pas venues au secours de la Porte lorsque leur assistance pouvait prévenir sa défaite, ne devaient pas être admises à protester contre le vainqueur[1] ; car, selon la parole de M. de Metternich, elles avaient abandonné l’empire à sa destinée[2].

De tout ce qui a été dit jusqu’ici, il résulte que le changement qui se fait remarquer, après la bataille de Nézib, dans l’attitude de la diplomatie anglaise, ne trouve pas sa justification dans la conduite de Méhémet-Ali. L’Angleterre avait d’ailleurs renoncé déjà au statu quo au moment où elle en recommandait l’observation au pacha d’Égypte, et où elle refusait d’assister la Porte dans les efforts que celle-ci faisait pour le troubler. Dès le mois de juin 1839, lord Palmerston agitait avec les puissances la question de savoir si l’on déposséderait le vice-roi de la Syrie, et se montrait déjà très entier

  1. « Le gouvernement russe a paru penser que, pourvu que les hostilités entre le sultan et Méhémet-Ali fussent confinées à la Syrie, les puissances européennes pourraient, sans danger pour leurs intérêts généraux et communs, rester les spectateurs passifs du conflit. Le gouvernement russe propose encore, dans l’éventualité d’un succès de Méhémet-Ali, de laisser les Égyptiens en possession d’Orfa et de Diarbekir. » (Dépêche de lord Palmerston à lord William Russell, 4 juillet 1839.
  2. « La défaite de l’armée du sultan par celle de Méhémet-Ali serait une calamité moins funeste à nos intérêts que ne le serait le partage de l’empire (il était question de donner la Syrie à Méhémet-Ali), si ce partage devait s’opérer avec notre concours. » (Dépêche de lord Ponsonby, 27 mai 1839.)