Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/542

Cette page a été validée par deux contributeurs.
538
REVUE DES DEUX MONDES.

l’Égypte. La prise d’Acre sera considérée comme la première conquête de cette guerre ; cette entreprise pourra avoir son succès peut-être avant quatre ou cinq mois. »

Lord Ponsonby alléguait, dans une précédente dépêche, que la Russie, parlant au nom des puissances, avait rendu son jugement, et qu’elle avait déclaré Méhémet-Ali l’agresseur. Voici une sentence bien autrement décisive ; c’est le conseil, disons mieux, l’autorisation donnée à Méhémet-Ali par les consuls des quatre puissances, de repousser la force par la force. Il est vrai que ce conseil était enveloppé de réserves et de restrictions ; par exemple, les consuls engageaient Méhémet-Ali à enfermer ses troupes dans une ville de la Syrie, et à attendre là que le séraskier vînt les attaquer. Cela prouve que les diplomates européens n’entendent pas grand’chose à l’art militaire, car le vice-roi eût perdu la Syrie, s’il eût pris à la lettre l’avis qui lui était donné. Il ne le fit pas et fit bien. Voici la lettre qui a déterminé Ibrahim à livrer la bataille de Nézib :

« J’ai sous les yeux vos lettres du 14 et du 15 du présent mois, ainsi que celle du Kaftana-Bey, qui vous a été adressée, par lesquelles j’ai eu connaissance que quelques détachemens de la cavalerie turque ont saccagé les villages du district d’Aïntab, et qu’ils ont pris possession d’Ouront. En conséquence, vous me demandez la ligne de conduite à tenir dans cette circonstance. J’ai sur-le-champ fait traduire ces trois pièces, et je les ai communiquées aux consuls-généraux des quatre grandes puissances résidant à Alexandrie. Après avoir longuement discuté leur contenu, il m’ont dit : « L’intérêt de votre altesse est toujours de se tenir sur le pied de la défensive ; mais avec cela votre altesse repoussera la force par la force par tous les moyens qui sont en votre pouvoir. Il est donc essentiel que son altesse Ibrahim-Pacha envoie un officier à Hafiz-Pacha pour lui demander des explications de sa conduite ; et dans cet intervalle, pour protéger la province et la garnison d’Aïntab contre un coup de main, fortifiez-la en envoyant le nombre suffisant de troupes ; et si, malgré tout cela, les Turcs persistent dans leurs menées et marchent vers Aïntab, la garnison se repliera vers le corps d’armée, qui s’avancera en même temps, et marchera à la rencontre de l’armée turque. Par cette mesure, la bataille n’aura lieu que sur le territoire égyptien ; par là, vous prouverez facilement que la première agression a eu lieu de leur part. »

« Cette explication me parut d’autant plus convenable, qu’elle s’accorde tout-à-fait avec la conduite modérée que j’ai tenue à leur égard. En conséquence, je vous invite, mon fils, à vous régler exactement au contenu de la présente lettre. (Méhémet-Ali à Ibrahim. — 22 Rabi-el-evil 1155.)

Arrêtons un moment nos regards sur cet étrange spectacle. Deux armées sont en présence, brûlant l’une et l’autre d’en venir aux