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l’Europe, avait promis de respecter et avait respecté, en effet, la convention de Kutaya. Le sultan, au contraire, l’a violée, malgré les conseils des puissances ; les témoignages historiques abondent pour la démonstration de ce fait.

On vient de lire cet aveu naïf du moustechar Nourri-Effendi à l’ambassadeur d’Angleterre, le 6 avril 1839 : « La Porte veut détruire le statu quo ; » et cet autre du 21 avril : « La Porte veut la destruction de Méhémet-Ali. » Mais les projets aventureux du sultan remontaient à une date plus ancienne, et, il faut le dire, ces pensées funestes avaient reçu des encouragemens. Voici ce qu’écrit un ministre ottoman, le même qui a signé le traité du 15 juillet, Reschid-Pacha[1] :

« Les Russes venaient de proposer[2] au sultan un secours de cinquante mille hommes. On accueillait avec empressement tous les projets et plans d’attaque contre l’Égypte ; on nommait Tahir-Pacha au pachalik d’Aïdin ; les ministres partisans de la paix étaient obligés, pour leur sûreté, de se ranger de l’avis contraire. » Et ailleurs : « On[3] n’avait pas plus tôt, par les déclarations faites pour empêcher la sortie de la flotte, blessé et irrité le sultan, que la Russie s’empressa de lui offrir cinquante mille hommes et une flotte pour marcher contre le pacha d’Égypte. On sait que l’existence de Méhémet-Ali est un cauchemar pour Sultan-Mahmoud, et que la destruction de ce vassal est le rêve de ses jours et de ses nuits. »

Ainsi, l’idée fixe du sultan, le rêve de ses jours et de ses nuits, c’était la destruction du pacha d’Égypte. Il allait commencer les hostilités, lorsque la France et l’Angleterre après elle, redoutant pour la Porte les conséquences d’un conflit avec les forces égyptiennes, s’opposèrent à la sortie de la flotte turque. La Russie, au contraire, l’encourageait et lui offrait le secours de ses armées ainsi que de ses vaisseaux. À cette époque, en 1838, le sultan, voyant les puissances divisées, feignit de se rendre pour un temps aux conseils de la modération. Veut-on savoir le mot de cette énigme ? L’Angleterre lui avait fait espérer qu’il atteindrait sans péril, et par des moyens pacifiques, le but qu’il se proposait. Voilà le secret de la soudaine conclusion du traité de commerce, signé le 16 août 1838, entre l’Angleterre et la Porte ottomane. Écoutons encore sur ce point Reschid-Pacha :

  1. Du Statu quo en Orient.
  2. En juillet 1838.
  3. On, c’est-à-dire la France et l’Angleterre.