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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

la Porte, à moins d’avoir pour objet la destruction de Méhémet-Ali, et que par conséquent la Porte ne devait pas faire de traité.

« Je répliquai que l’on ne pouvait pas attendre du gouvernement anglais qu’il abandonnât sa politique bien connue ; que le gouvernement de sa majesté n’avait rien demandé à la Porte, et qu’au contraire il donnait à la Porte, par ce traité, une garantie solide contre tout danger qui pourrait la menacer de la part du pacha d’Égypte, garantie qui diminuerait matériellement ses dépenses, si elle le voulait bien. »

On le voit, c’est un fait désormais à l’abri de toute contestation, que l’Angleterre a confirmé, par sa sanction expresse, l’arrangement de Kutaya. Pendant six ans, cette convention est restée le point de départ de sa politique, politique bien connue, comme l’a dit lord Ponsonby lui-même, que l’ambassadeur britannique à Constantinople défendait encore le 21 avril 1839 contre les ébullitions belliqueuses du sultan, et dans laquelle le gouvernement anglais s’était avancé au point d’insinuer au pacha qu’il n’avait qu’à remplir les engagemens de 1833 et que les puissances se chargeraient de son avenir, au point d’offrir à la Porte un traité définitif pour le cas où Méhémet-Ali franchirait les limites des provinces qui lui étaient assignées.

Après des déclarations aussi positives et aussi solennelles en faveur du statu quo, après cette double garantie donnée au sultan et au pacha d’Égypte, la Grande-Bretagne ne pouvait pas être reçue à changer d’attitude dans la question d’Orient. Il fallait du moins, pour justifier ce changement et pour légitimer ses actes d’hostilité contre le pacha d’Égypte, que Méhémet-Ali eût troublé le premier l’état de paix que la France et l’Angleterre avaient garanti. À l’exemple de ces oracles de l’antiquité qui, deux armées se trouvant en présence, annonçaient que celle des deux qui attaquerait l’autre serait battue, les puissances avaient signifié au sultan et au pacha d’Égypte, à la veille des hostilités, que l’Europe entière se déclarerait contre l’agresseur. De quel côté sont les torts de l’agression ? Voilà ce qu’il importe d’éclaircir.

Il est très vrai que le règlement de Kutaya n’a jamais satisfait ni la Porte ni le vice-roi. La Porte, qui s’estimait heureuse, en 1833, d’acquérir à ce prix un peu de sécurité, ne tarda pas à regretter les provinces qu’elle avait cédées, et à manifester des projets belliqueux. Le pacha, de son côté, voulait assurer l’avenir de sa famille, et demandait l’indépendance pour obtenir l’hérédité. Mais il faut ajouter que Méhémet-Ali, contrarié dans ses plans par la résistance de