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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

Il s’agissait de réveiller les populations musulmanes de leur léthargie, d’insurger l’Asie mineure, d’appeler la Perse aux armes, et d’effacer l’humiliation qu’avait imprimée au front du sultan le traité d’Unkiar-Skelessi. Le vieux pacha, se considérant comme le représentant de l’islamisme, promettait de former l’avant-garde avec treize vaisseaux de ligne ou frégates, et avec cent cinquante mille soldats. Sans doute il mettait un prix élevé à sa coopération, en demandant que l’Europe le reconnût comme un souverain indépendant ; mais la grandeur et l’utilité de l’entreprise qu’il proposait aux puissances valaient bien une telle concession. Il n’entre pas dans le plan de ce travail d’exposer les raisons qui firent repousser les propositions du vice-roi. La seule chose qu’il importe d’établir, c’est que les puissances furent alors unanimes pour réclamer et pour imposer au besoin le maintien du statu quo. La dépêche de lord Palmerston au colonel Campbell, sous la date du 26 octobre 1834, s’explique comme il suit :

« L’opinion de sa majesté est que l’intégrité et l’indépendance de l’empire ottoman sont essentiellement nécessaires au maintien de la paix en Europe, mais que séparer de cet empire les vastes et fertiles provinces dont le gouvernement a été confié à Méhémet-Ali, ce serait non-seulement porter atteinte à l’intégrité de l’empire turc, mais encore influer d’une manière fatale sur son indépendance. »

Lord Palmerston invitait ensuite Méhémet-Ali à évacuer les districts d’Orfa et de Raka, « qui ne sont point compris, dit la dépêche, dans les limites de la Syrie, et dont l’administration n’a point été confiée à Méhémet Ali. » Cette dépêche est précieuse. Elle prouve en effet, et par le témoignage le moins contestable, par celui de lord Palmerston lui-même, que le gouvernement britannique a ratifié l’arrangement de Kutaya. En déclarant que le pacha ne pourrait pas changer le titre en vertu duquel il gouverne la Syrie et l’Égypte, sans porter atteinte à l’intégrité et sans mettre en péril l’indépendance de l’empire ottoman, le ministre anglais admettait implicitement que cette indépendance et cette intégrité demeuraient sauves, tant que Méhémet-Ali occuperait et régirait les deux provinces à titre de prince vassal. C’est là un démenti péremptoire infligé par avance aux assertions du memorandum.

Au reste, la garantie donnée par les puissances européennes à l’arrangement de Kutaya se trouve exprimée en termes formels dans la réponse du gouvernement français au vice-roi.

« L’Europe veut en Orient le maintien du statu quo, l’intégrité de l’empire