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demandai la permission de ne pas me rendre à la requête de son excellence, en me rejetant sur l’inutilité de la démarche à laquelle on m’invitait. »

En voyant ce que M. Mandeville refuse de faire, on peut juger de l’importance qu’il attache à ce qu’il a fait. Le ministre qui déclare s’être abstenu dans la transaction relative au district d’Adana, parce que l’intervention de l’Angleterre eût impliqué son adhésion, ne reconnaît-il pas par cela même que la cession de la Syrie, faite au pacha d’Égypte sous la médiation de l’Angleterre, engage la responsabilité de son gouvernement ? Cette dépêche dessine dans leur vérité la position de la Porte et celle des deux puissances qui ont protégé de leur influence l’arrangement de Kutaya. Il reste évident que la Porte a fait une cession de territoire, et que cette cession a été faite sans esprit de retour, sans autre réserve que celle de la suzeraineté du sultan. Il en résulte tout aussi clairement que, l’Europe entière se liguant pour enlever la Syrie au pacha d’Égypte, la France et l’Angleterre n’étaient pas libres de se joindre à la coalition. Cet engagement, dans lequel les deux puissances occidentales se trouvaient solidaires, la France l’a rempli seule ; on verra plus loin comment l’Angleterre l’a rompu.

Sans doute, le gouvernement britannique n’avait concouru à l’arrangement de Kutaya qu’avec une extrême répugnance et pour obéir à la nécessité. Cependant lord Palmerston n’avait pas désavoué M. de Mandeville, et sa correspondance ultérieure avec les agens qui représentaient l’Angleterre en Orient prouve qu’il a long-temps considéré comme une situation normale le partage réglé en 1833 des territoires musulmans[1]. De 1834 à 1839, l’Angleterre ne se montra préoccupée, comme le reste de l’Europe, que du soin de modérer le pacha d’Égypte et de le renfermer dans les limites que la convention de mai 1833 lui avait assignées. Vers la fin de 1834, Méhémet-Ail soumit aux cabinets de Paris, de Londres et de Vienne le plan d’une vaste croisade contre la Russie.

  1. « La convention de Kutaya fut non-seulement reconnue par la Grande-Bretagne, mais fut annoncée au parlement, dans le discours du roi, le 4 février 1834, en ces termes solennels : « La paix de la Turquie, depuis l’arrangement qui a été conclu avec Méhémet-Ali, n’a pas été troublée, et ne sera menacée, je l’espère, d’aucun nouveau danger. » Cependant le sultan n’a-t-il pas été encouragé, n’a-t-il pas été assisté par l’Angleterre dans ses efforts pour rompre cet arrangement et pour troubler la paix que cet arrangement avait établi ? Ce qu’il y a d’onéreux dans un arrangement est-il une raison suffisante de le violer ? » (The Syrian question, Westminster Review.)