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Assez d’assertions contradictoires ont été produites ; je laisserai parler les faits.

Un mot d’abord sur ce reproche, que le cabinet whig adresse à la France, d’avoir manifesté successivement deux opinions différentes dans la question d’Orient. Je ne le discute pas ici ; mais il sera permis de montrer à quel point le gouvernement anglais lui-même a fini par le juger peu sérieux. On en trouvera la preuve dans les extraits suivans d’une conversation que M. Guizot eut avec lord Palmerston au moment de partir pour Paris, où il allait remplacer M. Thiers. C’est lord Palmerston qui parle dans ce récit[1] :

« M. Guizot me dit que la France et les quatre puissances n’étaient point dans la même situation par rapport aux affaires d’Orient ; que la France s’était toujours prononcée pour le maintien du statu quo de l’état de choses réglé à Kutaya ; que les quatre puissances avaient défendu la même combinaison jusqu’à une époque récente ; que c’était seulement depuis peu qu’elles avaient changé de système, et qu’elles avaient jugé nécessaire de rendre la Syrie au sultan. On ne peut pas attendre de la France, ajoute M. Guizot, qu’elle sacrifie ses opinions et son amour-propre uniquement parce qu’il a plu aux autres puissances de renoncer aux leurs. Ainsi les quatre puissances feront bien de modifier l’arrangement du 15 juillet, si elles veulent faciliter au gouvernement français le maintien de la paix.

« Je répondis que les quatre puissances avaient jugé nécessaire de défaire (undo) l’arrangement de Kutaya, parce que l’expérience avait montré que cet arrangement était incompatible avec le maintien de la paix dans l’empire ottoman ; que M. Guizot avait raison de dire que la France et les quatre puissances ne se trouvaient pas dans la même situation par rapport aux affaires d’Orient, mais que c’était par une cause bien différente de celle qu’il avait assignée ; car la France défendait son amour-propre et demeurait attachée à des opinions uniquement parce qu’elle les avait professées à une époque antérieure, tandis que les quatre puissances tenaient à leur opinion, parce qu’elles étaient convaincues que l’accomplissement de ce système était essentiel à la paix de l’Europe et à la balance des pouvoirs. J’ajoutai qu’une considération d’amour-propre n’était pas un terrain sur lequel on pût placer les grandes affaires de l’Europe, et que les raisons qui faisaient agir les quatre puissances me semblaient être les vrais principes qui devaient diriger les gouvernemens. »

Cette dépêche renverse de fond en comble l’échafaudage d’argumens et d’insinuations à l’aide duquel le cabinet anglais avait défendu jusque-là le traité du 15 juillet. C’était pourtant une belle occasion

  1. Le vicomte Palmerston à lord Granville, dépêche du 27 octobre 1840.