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L’infant don François de Paule est rentré en Espagne. Ce prince serait peut-être embarrassé de dire quel est le rôle qu’il peut y jouer dans ce moment. Il a cédé, ce nous semble, à d’imprudens conseils. Les princes, comme les particuliers, doivent avant tout avoir soin de leur dignité : lui serait-il facile de la garder au milieu des troubles civils, de l’emportement des partis, des conditions qu’on peut lui imposer, des sacrifices qu’on peut lui demander ? Au surplus, si tout ce que les journaux ont raconté ces derniers jours est fondé, il y aurait eu plus d’un aveuglement autour de la famille royale d’Espagne. L’Espagne aurait deux ou trois Coblentz au lieu d’un : ce seraient encore des imitations, et des imitations malheureuses. Nous avons lu, entre autres, une incroyable proclamation attribuée à don Carlos. On y rêve pour lui le retour sur le trône à la suite de l’anarchie, comme si c’eût été l’anarchie qui eût ramené les Bourbons en France.

Les négociations commerciales avec la Belgique viennent d’être reprises. On désire évidemment arriver à une conclusion. La Belgique, pressée entre l’Allemagne et la France, est menacée d’étouffement ; elle demande à pouvoir respirer, et il est juste de reconnaître que plus d’un intérêt nous conseille de lui en donner les moyens. Aussi n’y a-t-il qu’un avis sur le principe, sur la convenance générale d’une transaction. Les difficultés sont toutes relatives au mode, à la mesure et à l’opportunité. La question est fort compliquée, et demanderait plus de développemens que nous ne pouvons lui en donner ici.

La fusion des deux pays, sous le rapport des douanes, serait sans doute la mesure la plus complète, et sous certains rapports celle à laquelle nos producteurs pourraient le mieux se résigner. Qu’auraient-ils fait si la Belgique eût été incorporée politiquement à la France ? À coup sûr ils n’auraient pas demandé le rétablissement des douanes intérieures, ou c’est en vain qu’ils l’auraient demandé. On peut ajouter que par l’incorporation commerciale les capitaux des deux pays pourront se porter de l’un dans l’autre, et y trouver leur emploi tout aussi facilement que s’il y avait eu incorporation politique ; qu’ainsi on peut se résigner à la première comme on se serait sans doute résigné à la seconde. Reconnaissons cependant que la fiction est quelque peu hardie. Les sacrifices qu’ils feraient dans un cas à leur pays, ces producteurs privilégiés sont sans doute moins disposés à les faire au profit du royaume belge. On leur dira que ces sacrifices tourneront à l’avantage de la France, car ils profiteront aux consommateurs français ; on leur dira que d’autres producteurs nationaux gagneront ce que perdraient les producteurs aujourd’hui protégés, car c’est avec des produits français que nous paierons les produits belges. Cela est irrécusable, mais il n’est pas moins certain qu’une profonde perturbation se manifesterait dans plusieurs de nos industries, qu’il y aurait des capitaux perdus, du travail plus ou moins long-temps paralysé ; ces producteurs ainsi menacés opposeront à ces mesures toute la résistance légale qui est en leur pouvoir. Ils trouveront des représentans, des défenseurs, des collègues peut-être dans les chambres, dans les conseils, dans les administrations, partout. Le gou-