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DES PARTIS EN FRANCE.

lesquels les opinions qu’il s’agit de réunir se sont à peu près entendues d’avance et spontanément ; je m’attacherai à ceux-là seulement, et j’écarterai tous les autres.

Dans un article récent[1], j’ai essayé d’expliquer comment en France le gouvernement représentatif est faussé, entravé, paralysé dans son action par la rencontre et le conflit des institutions diverses que nous ont données cinq ou six gouvernemens superposés l’un à l’autre. J’ai surtout tâché de montrer combien dans la chambre, dans les élections, au sein même de l’administration, il existe de chocs inévitables entre la monarchie administrative telle que l’empire nous l’a léguée, et la monarchie constitutionnelle telle que l’ont faite 1814 et 1830. Or, de ces difficultés, la plus grave assurément est celle qui naît de la double qualité et des doubles devoirs de certains fonctionnaires députés. Selon la monarchie administrative, un fonctionnaire doit obéir en tout à son supérieur hiérarchique, et lui prêter loyalement son concours ; selon la monarchie constitutionnelle, un député doit toujours parler et agir conformément à son opinion, tantôt pour, tantôt contre le cabinet. Quelle est donc la situation du député fonctionnaire pressé entre deux devoirs contradictoires, et hors d’état d’observer l’un sans manquer à l’autre ? Si, comme quelques personnes le voudraient, le devoir du fonctionnaire passe avant tout, voilà cent députés peut-être condamnés, chaque fois que le ministère change, à la pénible alternative de changer eux-mêmes d’opinion et de parti. Si le devoir du député est le premier, voilà cent fonctionnaires donnant l’étrange spectacle d’une sorte de guerre civile au sein de l’administration, et couverts par leur opposition même contre le mécontentement de leur supérieur. Il est vrai qu’il existe un troisième moyen, c’est que tous les fonctionnaires députés quittent et reprennent leurs places à chaque crise ministérielle. Mais qui ne sent que cela est impossible dans un pays où les crises ministérielles sont si communes, et où pour une classe nombreuse et estimable de la société les fonctions publiques sont une carrière, comme l’industrie et le commerce. Qu’il en soit ainsi en Angleterre, rien de mieux. Des fonctions publiques rares et gratuites, une classe riche et nombreuse qui se prépare dès l’enfance à la vie parlementaire et qui remplit la chambre des communes aussi bien que la chambre des pairs, une société, en un mot, organisée de telle sorte que la poli-

  1. Du Gouvernement représentatif en France et en Angleterre, livraison du 15 mai 1841.