Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/482

Cette page a été validée par deux contributeurs.
478
REVUE DES DEUX MONDES.

son avénement signifiait quelque chose et marquait un pas vers la gauche. De là une situation compliquée, difficile, et par conséquent un peu d’hésitation dans la conduite du cabinet, un peu d’incertitude dans son langage. Par degrés pourtant l’idée de transaction se dégageait et prenait le dessus, quand une question de politique extérieure renversa le cabinet du 22 février et jeta M. Thiers dans l’opposition.

On sait que le 6 septembre, bien que privé du concours de M. Thiers d’une part, de M. de Broglie de l’autre, annonça l’intention de reconstituer l’ancienne majorité et de replacer les esprits et les partis dans la situation où ils étaient avant la chute du 11 octobre. C’était un essai hardi, périlleux, mais qui avait sa grandeur et ses chances. Malheureusement pour ceux qui en avaient conçu la pensée, les partis auxquels on faisait appel n’avaient plus qu’un reste de vie, et ne se souciaient point de l’épuiser en de nouveaux combats. Plus le ministère du 6 septembre s’efforçait de les réchauffer et de les ranimer, plus donc il les trouvait froids et inertes ; plus aussi ils s’irritaient d’un commun accord contre les hommes d’état qui venaient les tirer de leur apathie et leur faire violence. C’est ce qui fait que, vivement attaqués d’un côté, ces hommes d’état ne furent de l’autre que très mollement défendus. Ils tombèrent enfin, et, dès le lendemain de leur chute, l’idée de transaction fut reprise par leurs successeurs avec bruit et ostentation.

On ne saurait le nier, le chef du cabinet du 15 avril avait, pour achever la décomposition des anciens partis et pour fonder une majorité de transaction, quelques avantages réels. Par ses opinions bien connues sur la nature et sur la portée des institutions représentatives, il plaisait naturellement à la droite, et lui offrait toutes sortes de garanties. Par sa résistance à plusieurs des lois répressives votées sous le 11 octobre et par son attitude dans le procès d’avril, il avait accès dans la gauche. Il profita habilement de cette circonstance, et le jour où il put, avec l’approbation de la droite, offrir l’amnistie à la gauche, l’œuvre parut définitivement accomplie. C’était, en effet, de la part du parti conservateur une concession immense, puisqu’elle entraînait à la fois l’abandon de la politique suivie jusqu’alors et le désaveu implicite des doctrines sur lesquelles s’appuyait cette politique. En acceptant l’amnistie sans opposition, le vieux parti de la résistance déclarait lui-même son abdication et signait son arrêt de mort. Tout le monde le comprit alors, et c’est ce qui fait que cet acte mémorable eut tant de retentissement.