Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/481

Cette page a été validée par deux contributeurs.
477
DES PARTIS EN FRANCE.

raître servile ou factieuse ; d’une majorité assez nombreuse, assez puissante, assez indépendante pour que le ministère émané d’elle et soutenu par elle soit toujours en mesure de faire prévaloir partout la volonté nationale et de triompher de toutes les résistances ; d’une majorité, en un mot, qui mette l’état à l’abri du double péril que je viens de signaler. Or, l’alliance de la droite libérale et de la gauche conservatrice, comment l’obtenir, si ce n’est par une transaction ?

En France, où les mots comme les idées s’usent et passent vite, le mot de transaction, je l’avoue, commence à paraître vieux, et, pour obtenir faveur, il serait peut-être bon d’en inventer un nouveau. Je m’y tiens pourtant, parce qu’à mon sens il exprime mieux que tout autre l’idée dont je suis préoccupé. Je m’y tiens aussi parce qu’il est consacré, et qu’il me paraît puéril, en politique, de vouloir imaginer chaque année quelque chose de nouveau. Les faits ne vont pas si vite que les idées, et les situations sont plus persévérantes que les esprits. Or, depuis un an, malgré de grandes vicissitudes dans les positions personnelles, la situation générale n’a pas changé. Ce qui était bon et utile alors l’est encore aujourd’hui. Je ne vois, quant à moi, aucune raison d’en douter ou de le dissimuler.

Je veux, au surplus, essayer de démontrer deux choses : l’une, que l’idée de transaction est en soi si excellente, si nécessaire, que, depuis cinq ans, tout le monde y cherche sa force et son salut ; l’autre, qu’au point où les choses en sont venues, les bases d’une transaction sérieuse et durable sont faciles à poser. Si je réussis dans cette double démonstration, j’aurai, je crois, fait faire un pas à la question.

Je ne remonterai point au-delà de 1836, époque où commença réellement la dissolution des vieux partis. Avant 1836, il s’était bien formé, sous la conduite de M. Dupin et sous le nom de tiers-parti, une opinion intermédiaire ; mais cette opinion avait plutôt la prétention de s’isoler des deux autres que de les concilier. C’était une protestation plus ou moins opportune, plus ou moins éclairée, en faveur de l’indépendance individuelle ; ce n’était point une tentative sérieuse et féconde de transaction. Si l’idée en existait déjà dans quelques esprits, elle n’y existait qu’en germe. Après la chute du 11 octobre, sous le ministère du 22 février, on la vit briser son enveloppe et grandir ; mais alors encore elle n’eut rien de précis, rien de mûri, rien de systématique. À vrai dire, il semblait que le cabinet s’y attachât par situation plus que par choix. Le chef de ce cabinet, M. Thiers, sortait en effet du 11 octobre, et ne pouvait, sans un motif très grave, changer de politique et de parti. Il n’en est pas moins évident que