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pose pas à l’invasion des opinions extrêmes une digue assez solide et assez haute. Pour qu’un ministère accomplisse utilement sa mission, il faut pourtant qu’il trouve le moyen d’être partout fort et respecté ; il faut qu’il ne fléchisse pas plus devant l’esprit révolutionnaire que devant l’esprit courtisan, devant les agitations de la place publique que devant les complots de salon et de palais ; il faut enfin qu’au besoin il sache et puisse braver en bas l’impopularité, en haut la défaveur. Or, c’est là, l’expérience le prouve, une double mission, une double épreuve à laquelle il est difficile et rare de suffire, surtout dans les temps agités, où ne manque ni l’une ni l’autre attaque, ni l’une ni l’autre tentation.

Je ne sais si je m’abuse, mais jamais, à mon sens, la difficulté ne fut plus grande, le danger plus pressant des deux parts. Que voyons-nous en effet depuis quinze ans ? Ici, chez quelques esprits uniquement préoccupés de l’ordre, un complot permanent pour absorber dans le pouvoir royal tous les autres pouvoirs, un complot souvent déjoué, souvent vaincu, mais qui se renouvelle sans cesse, sous une forme ou sous l’autre, avec une infatigable persévérance ; là, de la part d’autres esprits qui croient toujours la liberté à la veille de périr, une conspiration éternelle pour affaiblir, pour annuler les garanties sociales au profit des garanties individuelles, conspiration que ne peuvent satisfaire ou lasser les succès ni les échecs. Puis, entre ces deux écueils, un ministère ballotté de l’un à l’autre sans une majorité solide et compacte où il puisse s’appuyer, sans un parti ferme et consistant qui lui donne en même temps le moyen de se garantir de tous les deux. Comment veut-on qu’un tel ministère marche droit, et qu’il ne dévie pas plus ou moins du chemin qu’il s’est tracé ? C’est trop, quand on n’est armé et soutenu qu’à demi, que d’avoir à se défendre par tous les côtés à la fois. C’est trop que de lutter au-dessous et au-dessus de soi contre des adversaires si divers, sans pouvoir s’aider contre tous des mêmes adhésions et du même concours. Dans de tels combats, les forces s’épuisent, le courage tombe, les meilleures résolutions s’affaiblissent et chancellent.

Je l’ai déjà dit dans la Revue[1] et je le répète avec une entière conviction, pour qu’il en soit autrement, il n’existe qu’un moyen, l’alliance sincère, sérieuse, de la portion libérale de la droite et de la portion conservatrice de la gauche. Là seulement se rencontrent les élémens d’une majorité qui, dans aucun cas, ne puisse être ou pa-

  1. De la Politique du 1er mars, livraison du 1er janvier 1841.