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DES PARTIS EN FRANCE.

ainsi, deux raisons : l’une, qu’élevée et nourrie dans des idées d’opposition, une portion de la gauche ne peut encore se défendre de regarder le pouvoir comme un ennemi naturel, et d’imputer à ses mauvais desseins, à ses violences, à ses fautes, tous les maux dont le pays est atteint ; l’autre, que, pendant plusieurs années, les partis extrêmes, ceux qui poussent au désordre, ont été ses alliés, et qu’elle a dû les traiter avec des ménagemens qui ne peuvent cesser tout à coup. Et qu’on ne se fasse pas contre la gauche une arme de mes paroles. Il est inévitable que les oppositions extrêmes et violentes viennent, dans les luttes parlementaires et électorales, prêter quelquefois appui aux oppositions modérées et régulières. Il est inévitable, en outre, que celles-ci leur en sachent quelque gré. Depuis qu’en Angleterre les radicaux aident les whigs, croit-on que les whigs n’aient pas pour les radicaux bien plus d’égards qu’auparavant ? Et dans la dernière élection les tories eux-mêmes ont-ils refusé ou dédaigné l’appui momentané des chartistes ? Ce sont là, dans les gouvernemens libres, des combinaisons naturelles, et dont l’ignorance ou la mauvaise foi pourrait seule s’indigner.

Quand, dans la chambre et dans le pays, la gauche modérée a accepté le concours de la gauche extrême, elle n’a donc rien fait, en définitive, que n’eût fait le parti contraire à sa place, et les avances que certains organes ministériels prodiguent aujourd’hui au parti légitimiste en sont une démonstration suffisante. Il n’en est pas moins vrai qu’en se prolongeant, ce concours a créé des engagemens et des habitudes dont, comme parti de gouvernement, la gauche modérée doit être embarrassée. Les partis parlementaires ne sauraient d’ailleurs être isolés et séparés de ceux qui les soutiennent. Or, il est certain que les proportions relatives de la gauche modérée et de la gauche extrême ne sont pas les mêmes dans le pays que dans la chambre. Dans la chambre, la gauche modérée l’emporte de beaucoup sur la gauche extrême. Je penche à croire que c’est le contraire dans le pays. Livré tout entier à la gauche, le gouvernement, s’il en est ainsi, pourrait se trouver sur une pente rapide et dangereuse, sur une pente où les efforts de la gauche modérée ne suffiraient pas à l’arrêter.

Ce que je conclus de là, c’est que, si la droite gouverne seule, elle offre un point d’appui très réel contre le désordre, non contre les obstacles que peut rencontrer dans une sphère supérieure la volonté parlementaire ; c’est que, si la gauche gouverne seule au contraire, elle prête à la volonté parlementaire une force suffisante, mais n’op-