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LE DOCTEUR HERBEAU.

qui venait tous les jours à Saint-Léonard chercher les journaux de son maître.

Louise ignorait absolument ce qui s’était passé la veille. Comme M. Riquemont n’avait plus reparlé de remplacer le docteur Herbeau, et qu’au contraire il semblait avoir renoncé à lui donner un successeur, elle avait retrouvé un peu de calme et de sécurité. La veille, après avoir mis le docteur à la porte, M. Riquemont était entré dans la chambre de sa femme. — Décidément, avait-il dit, papa Herbeau est un bon diable ; il prend bien la plaisanterie. Je l’affectionne au fond, et ne saurais me passer de lui. Puisqu’il te plaît, nous le garderons. Tu comprends bien que je tiens par-dessus tout à t’être agréable. D’ailleurs, tout bien calculé, je me soucie médiocrement de ce petit Savenay. Tu avais raison l’autre soir, papa Herbeau est plus convenable. C’est un brave homme. Il m’amuse, et, s’il ne revenait plus au château, je sens qu’il me manquerait quelque chose. Va donc pour le docteur Herbeau ! Je ne suis pas jaloux, moi. J’aime tout ce que tu aimes, et tes sympathies font les miennes. Je ne sais pas quelle lubie m’avait passé, l’autre jour, par la tête ! Tu ne m’en veux plus, n’est-ce pas ? On a ses mauvais momens, mais cela n’empêche pas qu’on adore sa petite Louison.

Louise avait remercié son mari de ses bonnes dispositions ; mais, par une contradiction que nous ne nous chargeons pas d’expliquer, le bonheur qu’elle en ressentit fut moins près de la joie que de la tristesse. Le lendemain, dans l’après-midi, elle reçut, en présence de son mari, la lettre du docteur Herbeau. M. Riquemont rôdait depuis le matin autour d’elle, inquiet de ne rien voir arriver, et curieux de savoir comment le vieux docteur se tirerait de l’impasse où il l’avait acculé. La jeune femme ouvrit la lettre, et, l’ayant lue :

— Vous triomphez ! monsieur, s’écria-t-elle les yeux remplis de larmes ; vous en êtes venu à vos fins. Vous avez si bien fait, que M. Herbeau m’abandonne. Quelle patience et quel dévouement n’a-t-il pas fallu pour résister si long-temps à vos indignes procédés !

M. Riquemont releva la lettre échappée des mains de sa femme ; puis, après en avoir pris connaissance :

— Comment, mille diables ! s’écria-t-il, le docteur Herbeau quitte les affaires ! le docteur Herbeau abandonne ses amis ! Il trahit l’amitié, le docteur Herbeau ! Mais c’est infâme, cela ! mais c’est impossible ! je ne le souffrirai pas ; j’irai plutôt me jeter à ses pieds, j’embrasserai ses genoux, je lui demanderai excuse à mains jointes. Bap-