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offrait avec bonheur au souvenir de la jeune beauté qu’il avait tant aimée, qu’il devait aimer jusqu’à son heure dernière : heureux de renoncer à la science, dès-lors qu’il ne pouvait plus l’exercer en vue de la santé chérie ! Non, ce qu’il pleurait, c’était Louise ; c’était le doux rayon qui dorait son automne, la voix qui chantait dans son cœur, la source qui coulait sous ses gazons flétris et conservait à leurs racines un reste de fraîcheur et de vie. Il pleurait aussi sur la destinée de cette enfant, qu’il avait brisée peut-être. Il tremblait enfin qu’égarée par la passion, elle n’embrassât quelque résolution funeste. Il se rappelait avec terreur qu’un jour cette jeune imprudente n’avait parlé de rien moins que de s’échapper du domicile conjugal et de venir le surprendre à Saint-Léonard. Aujourd’hui même, sur le toit fatal, toit à jamais maudit ! Louise n’avait-elle pas fait un appel formel à l’amour du docteur ? n’avait-elle pas, pour preuve de cet amour, demandé qu’il entrât avec elle en rébellion ouverte contre l’autorité de son mari ? À toutes ces questions, il sentait redoubler ses angoisses. Ce fut une cruelle nuit. Vers le matin, pour compléter son œuvre, il écrivit à Mme Riquemont une lettre ainsi conçue :

« Madame,

« Des raisons de haute convenance, que le monde doit ignorer, me font une loi de renoncer à l’exercice de mon art. Les dégoûts de tout genre dont je me suis vu abreuvé en ces derniers temps suffiraient d’ailleurs pour expliquer et justifier au besoin la détermination que je viens de prendre. Dans l’exil volontaire que je m’impose, il me reste cette pensée consolante, que mon dévouement ne saurait vous être suspect, et qu’en cherchant les motifs qui m’ont commandé, vous ne sauriez me soupçonner d’ingratitude et d’indifférence. Vous vous direz, madame, qu’il a fallu des motifs bien impérieux et bien légitimes pour que j’aie cru devoir confier à des mains étrangères le soin de votre personne, et me déshériter d’une tâche qui me rendait heureux et fier. Croyez, ah ! croyez bien que du fond de la retraite où je vais tristement achever de vieillir, ma sollicitude vous accompagnera sans cesse ; croyez que mon cœur continuera de veiller sur vous, et que le jour où j’apprendrai que vous avez retrouvé la santé sera jour de fête dans ma solitude.

« Recevez, madame, avec mes adieux, l’expression de tous les hommages.

« Aristide Herbeau. »