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l’échelle et la mettre contre le mur. Si vous n’étiez pas venu par aventure, nous courions risque de passer la nuit sur ce toit.

Au milieu de son trouble, de sa confusion et de son effroi, le docteur Herbeau ne pouvait s’empêcher d’admirer l’aplomb, le sang-froid et la présence d’esprit de Louise. Il allait même jusqu’à s’en affliger intérieurement ; il reconnaissait avec tristesse cette vérité, vieille comme le monde, qu’il n’est pas d’Agnès que l’amour ne change aussitôt en Rosine.

M. Riquemont se prêta d’assez bonne grace aux désirs de sa femme. Il releva l’échelle et l’appliqua contre le mur ; puis, reculant de quelques pas, il arma son fusil et se tint prêt à mettre en joue, comme un chasseur dont le chien vient de tomber en arrêt.

— Allons, monsieur, je vous attends, dit-il en regardant le docteur Herbeau.

L’infortuné docteur pensa sérieusement que son heure suprême avait sonné et que c’en était fait de lui ; de grosses gouttes de sueur ruisselaient de son front, et le jabot de sa chemise, répondant aux battemens de son cœur, ressemblait à un éventail agité par une main légère.

— J’espère, monsieur, dit-il enfin, que vous n’avez pas l’intention de recourir à un lâche assassinat ?

— De par tous les diables ! descendrez-vous, monsieur ? s’écria le châtelain avec impatience.

Aristide se mit à descendre ; mais il n’était pas au milieu de l’échelle que M. Riquemont le coucha en joue et lâcha la détente. Au bruit de l’explosion, Louise jeta un cri, les pigeons s’envolèrent, Colette tressaillit, toute la meute s’élança en aboyant, et le docteur glissa, comme un sac, jusqu’à terre. Il chancela, s’appuya contre le mur et porta la main à sa poitrine, tandis que le rustre arrachait de la gueule d’un de ses chiens le pigeon qu’il venait d’abattre.

— Vous êtes cruel ! s’écria Louise avec chagrin. Vous savez que j’aime ces oiseaux.

— Moi aussi, je les aime… à la crapaudine, répliqua le brutal enfourrant le pigeon dans sa poche.

Pendant que Louise descendait à son tour, il s’approcha du docteur et lui dit à voix basse :

— Monsieur, vous allez nous suivre. Vous dînerez avec nous, il le faut ; j’ai à vous parler. Offrez votre bras à madame…

Ces paroles furent dites d’un ton qui ne souffrait pas de réplique. Ils prirent tous trois le chemin du château, Louise appuyée sur le